les venus dansent dans la forêt
le sabbah

 Cibles, théâtralité, magie

Selon les historiens, Shakespeare aurait tenté d'atteindre une cible lui aussi à travers la rédaction de ce poème. Une histoire d'amour. Mais c'est l'autre « cible » qui nous intéresse ici : le lecteur / auditeur / spectateur.
En 1592, Shakespeare commence à peine son oeuvre pour la scène et cette année, la peste oblige tous les théâtres de Londres à fermer leurs portes. Il est intéressant de mettre alors en lien cette histoire de cible : « C'est le lot des fastidieuses plaintes d'amours que d'être sans auditoire, précise le texte à propos des lamentations nocturnes de Vénus. L'absence de l'autre – Adonis qui se dérobe, le public qui fait défaut au dramaturge – pourrait être tout à la fois sujet du poème et condition concrète de sa production. »
D'un poème au théâtre de Michèle le Doeuff - Introduction à sa traduction de Vénus et Adonis Il y a une très grande théâtralité dans ce texte - ses métaphores qui dessinent le décor des scènes ; les actions peintes comme des tableaux vivants ; Vénus et Adonis : figures, « personnages », qui s'expriment au discours direct - « Ce n'est pas de ma faute, c'est le sanglier qui a mis ma langue en rage. Venge-toi sur lui, invisible capitaine. C'est lui, l'horrible bête, qui a lésé ta dignité. Moi, je n'ai été que l'actrice, lui est l'auteur de cette scène où tu fus calomnié. »
Vénus et Adonis de Shakespeare, trad. de Michèle le Doeuff
- d’ailleurs Shakespeare, comme dans ses Sonnets, est bien présent, à travers le narrateur. Le narrateur en effet prend une part ludique, subjective à l’histoire, il la commente, la dessine, il se mêle parfois étrangement aux personnages ; il se plait à faire des digressions, instaure le suspens, influence presque ce qu’il se passe entre Vénus et  Adonis et ainsi existe véritablement en tant que figure théâtrale présente qui nous permet d'être, dans ses allers-retours, encore plus proche de la poésie, des
sensations, du désir. Se dessinent alors deux cibles pour le travail de mise en scène : Adonis et le spectateur. L'une et l’autre mêlée…
La mythologie, par le philtre de la magie, par la divinité, par les métamorphoses nous racontent les passions humaines. Il en est de même pour le théâtre. Tout cela nous entraîne vers des glissements qui relèvent de quelque chose de magique. Il nous faut alors créer un espace où ces allers-retours pour le spectateur puissent s'opérer « comme
par magie » ou « sans le savoir » (comme Vénus qui se blesse à la flèche de Cupidon).