propos sur la scénographie

Une Chambre à soi

Anne de Boissy dans le parc pour enfant
Dans le parc...
Dès la première lecture du texte Une Chambre à Soi de Virginia Woolf, j’ai eu le sentiment de suffocation, d’enfermement et puis d’une possibilité de libération.
J’ai travaillé donc avec la notion de la chambre comme lieu d’enfermement pour arriver à la création des chambres pour le travail, la créativité et la liberté des femmes.
J’ai conçu alors un parc pour bébés géant, qui symbolise le patriarcat victorien duquel Virginia elle-même voulait se libérer. Le métal utilisé pour la construction de ce dernier rappelle les cages pour animaux et les prisons. Les femmes dans l’histoire ont été infantilisées et enfermées avec peu des moyens pour exprimer leur talent et ça, c’est une des raisons pour lesquelles il y a eu peu de femmes écrivains avant 1928 (date où Woolf a écrit son texte). Les femmes ont eu trop d’enfants, ont dû s’occuper de leur parents et frères et sœurs, elles n’ont pas eu la possibilité de gagner leur propre argent, d’hériter ni d’aller à l’université. Le parc géant rend la femme petite et impuissante.

La pièce commence avec Woolf comme conférencière, elle est sur un podium puis petit à petit le spectateur se rend compte qu’elle est dans un parc pour bébés entourée des objets de la nursery victorienne. La théière pour Virginia avait une connotation de servitude, les filles de son milieu social devaient apprendre à servir le thé et passer leurs après-midi comme ça. La petite chaise est un rappel de l’infantilisation des femmes, qui doivent se placer symboliquement dans un lieu qui est trop petit pour elles. Le cheval à bascule, jeu pour filles et garçons, et présent dans toutes les nurseries victoriennes, fait un rappel ici du cheval d’Orlando, donc une possibilité de transformation et de libération. La vitrine où l’on gardait les objets précieux contient le résultat de la libération par le travail : ici les écrits de Virginia qui symbolisent son propre travail et la possibilité pour les autres femmes d’avoir une chambre à soi et de l’argent pour pouvoir créer. Des livres sont placés autour du parc, comme des bâtiments, toujours à l’extérieur, pour accéder aux connaissances et faire partie de la culture, les femmes doivent casser cette structure qui les a enfermées pendant si longtemps.

A un moment pendant la pièce, Woolf transforme le parc en portail. Un des souvenirs plus vifs de l’enfance de Virginia était le son de la grille de la maison de campagne quand elle s’ouvrait, ce son a toujours été associé pour elle à la joie et à la liberté. Pour elle, comme elle dit dans Une Chambre à Soi : «…il n’est porte, ni serrure, ni verrou que vous puissiez dresser contre la liberté de mon esprit!».

Le parc, comme la maison d’enfance de Virginia est suffocant mais en le cassant et en sortant de ce dernier elle va construire sa propre chambre. Elle utilisera ce qu’elle a : les murs et son travail. Elle va transformer les murs qui ont à la fois enfermé les femmes pendant des années, mais qui ont aussi contenu toute leur force créatrice. Virginia Woolf va utiliser son propre travail pour construire Une Chambre à Soi ; elle utilisera ses manuscrits dans lesquels le chemin de la pensée est présent, la pensée en développement, la pensée qui va de l’avant.
« …les femmes sont restées assises à l’intérieur de leurs maisons pendant des millions d’années, si bien qu’à présent les murs mêmes sont imprégnés de leur force créatrice ; et cette force créatrice surcharge à ce point la capacité des briques et du mortier qu’il faut maintenant trouver autre chose, se harnacher de plumes, de pinceaux, d’affaires et de politique. »
Virginia Woolf, Une Chambre à Soi.
Carmen Mariscal, Paris, novembre 2013.


Carmen Mariscal

plasticienne
Je suis née à Mexico où j’ai étudié l’histoire de l‘art. En 1991, après une fracture de la colonne vertébrale et de longs mois d’immobilité à l’hôpital, j’étudie les arts plastiques. Je commence à employer des matériaux froids et propres, qui rappellent la salle d’opération ou le laboratoire. Aujourd’hui je photographie des fragments du corps humain superposés à différentes textures : murs cassés, fissurés et évoque l’action du
temps qui passe sur le corps. J’expose en Russie, Espagne, France, aux Etats- Unis, en Angleterre, en Allemagne, au Mexique... J’ai collaboré en 2011 avec Sylvie Mongin-Algan à la scénographie du spectacle Electre se réveille, dans le cadre du projet Polyptyque Escalante, les mises en scène de 4 pièces de l’auteure mexicaine Ximena Escalante.

www.carmenmariscal.com