revue de presse

Europeana,

la famille est au grnad complet
Une famille au 20 ème

Coup de coeur pour « Europeana »

Les spectateurs de Festiv’Aux amphis ont eu en juin dernier, un aperçu de cette nouvelle idée de Laurent Vercelletto.
Le texte de Patrick Ourednik n’est pas une pièce de théâtre, ce n’est pas non plus un livre d’histoire, ni un scénario de film, ni un roman. C’est plutôt une sorte de générique de notre XXe siècle, un sommaire, exhaustif, foisonnant de détails farfelus et d’événements graves. Dans ce qu’il faut bien finir par appeler une représentation, les mots de l’auteur, la réalisation et les subterfuges du metteur en scène donnent vie à une véritable bande dessinée sans héros.
C’est rafraîchissant, écrasant, drôle… on y passe l’Histoire à la moulinette du dérisoire. Entre l’invention du soutien gorge ou de la poupée Barbie, se glissent les génocides, la psychanalyse ou Salvador Dali. On sortira ému et fasciné de ce grand bric à brac décoiffant.
Monique Desgouttes / Le Progrès - 21 sept 2014


Europeana

Cela commence par un compte à rebours : sur écran vidéo, défilent des images noir et blanc de lancers de fusées et de cosmonautes engoncés dans leurs combinaisons. Des images vues des centaines de fois, et qui ont donc perdu leur caractère de nouveauté : le premier homme qui a marché sur la lune, c’était au siècle passé… Nous voilà replongés dans le chaudron d’une époque finissante, la nôtre, prise en étau entre la première guerre mondiale et l’attentat du New York Center de 2001.
Ce 20è siècle vertigineux, Laurent Vercelletto vient de le faire défiler à vive allure sur la grande scène du théâtre de verdure, aux Amphis, sous le titre de “Europeana, une brève histoire du XXè siècle“. Son spectacle est inspiré en grande partie de l’oeuvre éponyme de Patrick Ou-rednik, un écrivain tchèque qu’on pourrait classer quelque part entre Georges Pérec et Robert Musil, pour la dérision, le goût de l’inventaire, l’érudition.
Cette “Europeana”, nouvelle création du metteur en scène et directeur du LucaThéâtre a de quoi séduire : un texte formidable ; des comédiens épatants, de la plus jeune recrue, issue des ateliers théâtre de la compagnie, aux plus expérimentés comme Christine Brotons ou Patrice Bornand ; un décor composé de penderies de vêtements sous housse transparente, ce qui permet un affichage vidéo très grand écran, sur ce rideau improvisé, quand les penderies remontent dans les cintres ; une console pour le musicien qui compose à vue, quelques chaises colorées …
A se retourner sur cette époque si proche et si lointaine, notre regard change… “Européana” nous fait toucher du doigt cette chose si fragile : un spectacle ne vaut le déplacement que s’il brasse le monde et chaque spectateur à la fois. Ce fut bien le cas aux Amphis, dans ce magni-fique théâtre de verdure bordé par le parc Elsa Triolet. Les acteurs donnent corps au texte, avec quelques chansons à l’appui, et nous livrent des instantanés, des fragments de discours histo-riques, des clichés qui nous collent à la peau. Même quand l’histoire avec un grand H s’emballe, le spectateur n’est jamais perdu. Les retours en arrière étant aussi fréquents que ses accélérés, il suit pas à pas les digressions du siècle et la frénésie d’une époque riche en évènements comme en stéréotypes
Dans ce spectacle, il n’y a pas de personnage au sens conventionnel, mais des concentrés de figures humaines, assortis de brefs portraits en vidéo qui sont autant d’interviews instantanés sur l’état du monde. Le son est au diapason : de la musique techno à la chanson douce.
Pas une minute, on ne perd le fil du récit qui soude les catastrophes et l’expérience quoti-dienne des hommes, de l’émancipation des femmes à la poupée Barbie en passant par la dé-pression, la maladie la plus répandue dans le monde occidental.. “Et les gens continuent de faire comme si de rien n’était ? Et oui….”
Ce spectacle sera redonné en janvier prochain au centre culturel Charlie Chaplin.
Françoise Kayser  / Vaulx en Velin Journal juillet 14



« Europeana, une brève histoire du xxe siècle », de Patrik Ouředník (critique), C.C. Charlie-Chaplin à Vaulx-en-Velin

Indispensable mémoire

Le Luca Théâtre, en résidence au centre culturel Charlie-Chaplin de Vaulx-en-Velin, y présente sa nouvelle création « Europeana, une brève histoire du xxe siècle ». Une invitation à la lucidité.

Œuvre de l’écrivain tchèque Patrik Ouředník, elle fait l’objet d’une adaptation théâtrale mise en scène par Laurent Vercelletto. Construit sous forme d’un inventaire mémoriel hétérogène, le spectacle pose la question essentielle : qu’est-ce que la vérité historique ?

Avant toute remarque sur les moyens dramaturgiques et scénographiques employés par le metteur en scène pour s’approprier le texte, il est nécessaire d’en dire un peu plus sur Patrik Ouředník. L’auteur, exilé et vivant en France depuis 1984, a connu dans sa jeunesse les effets dévastateurs de la « normalisation » qui mit fin aux espoirs du Printemps de Prague. Son écriture regarde le siècle écoulé à l’aune de son expérience personnelle. Elle développe un art consommé de la ruse, de la digression, du syllogisme et du paradoxe. Quelque chose qui, sans vouloir provoquer, ressemble à l’emboîtage des poupées russes. C’est dire la difficulté pour Laurent Vercelletto de faire théâtre avec un propos et une langue passés maîtres dans l’art d’oser affirmer des vérités souvent censurées sans s’interdire les décalages de l’humour ou les délices de quelques affabulations caustiques.

Cela posé, que voit-on ? Un vaste vestiaire où sont suspendus sous housses plastifiées des vêtements portés au xxe siècle. L’image est forte et fait référence à la « salle des pendus » dans laquelle les mineurs accrochaient leur tenue de travail. On saisit aisément que les décennies écoulées furent surtout des années d’exploitation et de souffrance. Des pantins en civil ou militaire, enfoncés à demi dans une terre brune, soulignent que de 1900 à 2000, en dépit de toutes les illusions nées des utopies humanistes, guerres, génocides, obscurantisme et affairisme l’emportèrent largement. Dans cet espace s’avancent quatre comédiennes et deux comédiens. Chacune de leurs interventions est accompagnée d’un habillage ou d’un déshabillage. Jeu concret qui fait traverser les époques. Par exemple, celle des femmes asservies par le port imposé du corset ou s’émancipant en ajustant un pantalon. Ou encore des hommes embrigadés dans un uniforme ou ridiculisés par des sous-vêtements qui moquent leur virilité. À travers des gestes répétitifs du quotidien escortés de mots abstraits ou concrets se décrit une humanité touchante et aliénée. Ce sont nos frères et nos sœurs, rarement heureux, souvent broyés par la grande Histoire.

Avec cette matière visuelle et gestuelle, Laurent Vercelletto construit un théâtre du récit. Que le texte nous parle des horreurs des totalitarismes, des plaisirs de la libération sexuelle, des préjugés dont sont affublés les peuples de telle ou telle nation, des contradictions de la psychanalyse ou des bienfaits d’une vie sportive, le parti pris de jeu est quasi constamment celui de l’adresse au public. C’est quelquefois lassant d’autant plus que l’auteur, virtuose du télescopage des idées, nous fait oublier des acteurs cantonnés dans le rôle de récitants. Heureusement, de belles scènes jouées ou chantées comme la mélancolie d’un soldat interprétant un poème d’Aragon, le plaisir d’une jeune femme s’affranchissant des codes vestimentaires, l’interrogatoire d’un aliéné dépressif, viennent rompre la litanie des discours.

En fin de compte, on quitte ce spectacle exigeant et intelligent avec le sentiment que l’histoire tantôt exaltante, tantôt effrayante du xxe siècle, est un avertissement salutaire pour les nouvelles générations. Une forme d’appel à ne pas idéaliser le présent pour ses miracles technologiques et ses mirages idéologiques. Une invitation à la lucidité. Par son engagement et son talent, l’équipe artistique du Luca Théâtre nous incite à regarder le monde tel qu’il est, tel qu’il pourrait être, comme nous voudrions qu’il soit. ¶

Michel Dieuaide / Les Trois Coups.com 27 janvier 2015




Laurent Vercelletto
Europeana

Centre Charlie Chaplin
Comme en général tous les écrivains de l’Est ayant vécu l’expérience communiste avant de s’exiler en France, le tchèque Patrik Ourednik a une écriture dense, complexe, intellectuellement aigüe et un brin manichéenne, ce qui l’amène à un jugement historique souvent approximatif bien que sincère et souffert. Le titre de ce texte, très peu théâtral en vérité mais théâtralisé avec la conviction qui le caractérise par Laurent Vercelletto, est Europeana, une brève histoire du XXème siècle, une ambitieuse tentative de synthétiser un siècle d’histoire, tellement contradictoire et tragique, en entassant pêle-mêle les deux guerres mondiales, les génocides des Arméniens et la shoah (franchement, il serait temps que le théâtre laisse aux historiens la tache de s’en occuper), les avancées technologiques, les conquêtes spatiales et d’autres innombrables et moindres détails de notre civilisation d’êtres humains soumis à l’éphémère de notre existence individuelle. Un cafouillage généreux, écrit avec rage et un langage qui refuse toute concession aux stéréotypes, aux discours surannés. Dans sa mise en scène, Vercelletto a ultérieurement chargé de trop d’éléments dispersifs le plateau : vidéos gigantesques (Sophie Fueyo), pantins immobiles, une scénographie débordante et une variété de trouvailles plus ou moins heureuses. Les moments d’une grande densité poétique ne sont pas rares, exaltés aussi par la création musicale de Xavier Garcia, assez touchants d’ailleurs surtout quand Christine Brotons et Patrice Bornand (superbes tous les deux) chantonnent des textes d’Aragon. Là l’émotion prend et nous amène à une mélancolique et amère considération de notre destin, de notre impuissance humaine. Il n’y a pas de catharsis à vrai dire, à peine, sous-entendue, une sorte d’appel à la vigilance, à la résistance. Mais quelle résistance ? Contre la barbarie qui est en nous, en dehors de nous, dans l’homme, créature imparfaite d’une divinité absente, manipulatrice de sa marionnette ?
Ni Ourednik ni Vercelletto ne nous donnent de clés
Andréa Genovèse /  Belvédère  N. 34 janvier-Février 2015