notes d'intentions

Affreux bêtes et pédants

la directrice d'un théâtre présente sa sasion
Noémie Guedj directrice d'un théâtre
Depuis la création de la Compagnie des Dramaticules, j’ai eu l’occasion de mener un travail de terrain conséquent, d’aller à la rencontre des publics pour tenter de susciter en eux, par des propositions artistiques et pédagogiques, l’envie de nous suivre dans le théâtre de leur ville. Dans ce cadre, j’ai créé un répertoire de formes courtes que nous avons beaucoup joué hors les murs. Celles-ci prenaient généralement la forme d’un
canular et de ce fait, elles induisaient un rapport au jeu ancré dans le réel, un jeu invisible, que je qualifierais de « satiricodocumentaire », en rupture avec le jeu baroque que je défends avec mon équipe au plateau.
Ainsi, année après année, nous avons développé une pratique théâtrale alternative. Après dix ans de vie de troupe et de travail de répertoire, de Macbett de Ionesco à Richard III de Shakespeare, nous ressentons le besoin de porter un regard critique sur notre métier, sur la place de l’artiste dans la société, sur la vie culturelle française, ses prétentions, son fonctionnement, ses dérives et sur la vanité de ses protagonistes : artistes, directeurs et spectateurs.
Le projet Affreux, bêtes et pédants est né de ce cheminement. Après avoir écrit et joué trois formes courtes sur ces thématiques, j’ai été convaincu de la pertinence de poursuivre cette réflexion, de la mettre en scène sur le plateau, de la théâtraliser. Au fil de nos nombreux échanges avec le public, nous nous sommes aperçu que les spectateurs étaient très curieux des coulisses de notre métier, de nos vies d’artistes, avides de questions sur notre statut social, sur nos difficultés, sur nos moments d’exaltation...
Etrangement, quel que soit le lieu où nous jouions – centre social, lycée, bibliothèque ou appartement –, les mêmes questions revenaient. Cette récurrence nous a amenés à nous interroger à notre tour : pourquoi l’image des artistes, du spectacle vivant, est-elle à ce point figée ? Pourquoi certains poncifs sont-ils à ce point ancrés et partagés ? Par quel formatage ?

“Le théâtre est un riche fumier.” Valère Novarina, Lettre aux acteurs Affreux, bêtes et pédants dresse un portrait équitable des « acteurs » de la culture, empreint de beaucoup
d’autodérision - une galerie de monstres en somme. Les idées reçues, les lieux communs, les clichés, les stéréotypes et la bêtise sont les matériaux de cette fresque acide et jubilatoire sur nos métiers mouvementés.
“Tout m’exaspérait au théâtre.” Eugène Ionesco, Notes et contre-notes Cette création, dont les textes sont issus d'un travail d'écriture collective, veut dévoiler aux spectateurs les affres de la création, et en faire resurgir la dimension grotesque. Nous interrogerons la relation artistes/spectateurs, la notion de « produit culturel », les relations entre acteurs, entre un metteur en scène et des acteurs.

Au programme de ce jeu de massacre : une répétition autour de Phèdre qui tourne à la séance de torture, un débat avec les spectateurs, une présentation de saison, un artiste
exposant son projet à un programmateur... Autant de  situations qui nous permettront de témoigner du fonctionnement d’une troupe dans ses aspects les plus pathétiques et sordides, de la scène aux loges, en passant par le bureau et les rendez-vous extérieurs.
“Vous allez la regretter, la vie de théâtre ! ”  Copi, La nuit de Madame Lucienne

Ce projet d’écriture collective est en marge de mon parcours de metteur en scène, jalonné jusqu’à présent de textes de répertoire. Après avoir défini un scénario, un cadre, nous travaillons à partir d’improvisations, ce qui nous donne une grande liberté de ton.
La scénographie aura vocation à laisser le champ libre aux acteurs. Pas de grosse structure, mais des lumières et des marquages au sol qui prendront en charge la structuration de l’espace. Comme dans tous mes spectacles, les entrées et les sorties des
acteurs se feront à vue, les coulisses faisant partie intégrante du terrain de jeu. En fond de scène, un écran de quatre mètres sur six fera face à la salle. Deux caméras seront également sur le plateau, relayées sur l’écran, en direct ou en différé. La
vidéo aura pour mission d’être « l’oeil critique » de la représentation ; tantôt révélateur, manipulateur, voyeur, amplificateur, simplificateur... La régie son, lumière et vidéo
sera installée sur scène, puisqu’il s’agit de tout montrer.

Sur le plateau, les artifices théâtraux seront revendiqués comme accessoires et comme signes : projecteurs utilisés comme éléments scénographiques, caméras scrutant sans
cesse le mensonge de la représentation, écran questionnant notre rapport à l’image, tables, chaises ou bancs pour les acteurs qui ne sont pas en jeu, glaces maquillage, paravents, micros. Notre envers du décor se révèlera absolument universel. Il ne
s’agit pas de faire un spectacle référencé pour initiés et professionnels. Il s’agit de dénoncer, à travers la société du spectacle, certaines postures et impostures de la société des hommes. Parmi les sujets que nous explorerons : la manipulation, la sincérité, le snobisme, les humiliations, le groupe, la carrière. À bien y regarder, des sujets vraiment pas spécifiques à la vie culturelle française...
Jérémie Le Louët