Chromb! et la presse

Young Marble Giants

le groupe dans un escalier d'un immeuble ancien
Chromb © Eric Stern
« Mouhaha haha hahaha ! Mais qu’est ce quoi donc qu’est-ce ? Lorsque ce premier disque de CHROMB! a atterri sur la platine/piste de crash taste de 666rpm, mon sang n’a fait qu’un tour, évidemment dans le mauvais sens. Ne me trouvais-je pas instantanément et violemment confronté à tout ce que je déteste en matière de musique ? Rapidement : de vrais faux airs de jazz vindicatif, la présence de synthétiseurs et de bidouilles électroniques envahissants voire menant la danse, un saxophone alto pleurnichard, une basse beaucoup trop effacée et surtout sur deux ou trois titres l’intervention d’un chant funky/soul et suraigu. N’en jetez plus, ce disque n’est pas fait pour moi et quelle drôle d’idée de me l’avoir envoyé.

Et puis j’ai lu le (très) gentil mot accompagnant le disque : « Salut ! On aime bien ton blog. Alors on tenait à t’offrir notre premier album… Si ces basses flatteries ne te rebutent pas trop, peut-être accepteras-tu de le chroniquer… Ou peut-être de venir nous voir en vrai, en concert, tu trouveras la liste [des dates] ci-joint… CHROMB! te remercie. Bonne écoute ! ». Exactement de quoi me motiver pour en rajouter une couche dans la méchanceté gratuite et de descendre de manière deux fois plus dégueulasse encore un pauvre petit disque prétentieux.
En fait c’est à peu près tout le contraire qui s’est produit. J’ai tout de suite voulu écouter ce disque, intrigué par l’objet et son artwork – signé Benjamin Flao – qui m’a immédiatement attiré, pauvre matérialiste que je suis : des wagons balayés par une tempête de vent sur fond de paysage industriel désolé (et ce qui me plait le plus c’est ce bidon rouge entre les voies ferrées qui lui reste absolument collé au sol… le recto du disque est très bien également).
En toute sincérité il ne m’a pas fallu très longtemps pour tomber éperdument amoureux de CHROMB! et de sa musique. Et j’en suis le premier étonné. Car le jazz électrique et nuageux de CHROMB! possède c’est vrai une syntaxe et des éléments inhabituels pour des oreilles un brin passéistes et éduquées au free jazz de papa – petit raccourci flagrant : de Coltrane à Gustafsson en passant par Brötzmann et Joe McPhee – et un esprit qui n’en démord pas de ce qui est avec le temps devenu un nouvel académisme.
Académique, la musique de CHROMB! ne l’est vraiment pas. Et il est donc vrai que les synthétiseurs, orgues et autres Fender Rhodes mènent la danse ici. Camille Durieux qui joue de tous ces bidules est d’ailleurs l’un des principaux compositeurs de CHROMB!. Tout s’explique. Mais ce  garçon est loin d’être seul : il est accompagné d’Antoine Mermet au saxophone (alto et baryton) et à la voix, de Lucas Hercberg à la basse et de Guillaume Gestin à la batterie. Un groupe très actuel partant du jazz pour le mêler à toujours plus d’électricité sans avoir recours à une quelconque guitare. Toute ressemblance avec un groupe anglais de la fin des années 60/débuts des années 70 et originaire de Canterbury n’est peut être pas totalement fortuite.
Les emprunts sont ici multiples, électro évidemment comme sur les passages façon abstract/trip hop concassé de Il L’A Fait Avec Ta Sœur or le plus formidable ce sont ces envolées très lyriques dont CHROMB! a décidé de ne jamais se priver. Des volutes impérieuses qui dansent avec le kitsch progressif tout en lui intimant l’ordre de se tenir à sa place. La musique de CHROMB! fourmille allègrement de détails luxuriants et qui débordent constamment certes, mais toujours comme il le faut – on s’en aperçoit systématiquement une fois que tout est fini et que l’on a même pas eu le temps de s’écrier que le groupe en fait trop. Tout est donc une affaire de dosage dans l’exubérance et le lyrisme.

Certains titres sont d’apparence plus free rock et encore plus folle (Apocalypso) mais il y a toujours ce groove électrique – pas un groove qui fait danser sous les sunlights mais celui qui vous enveloppe les os d’un frisson impérieux de sensations proches d’un bon shoot d’adrénaline ou de ce que vous voudrez (du moment que c’est une drogue). Enfin, il y a effectivement du chant sur ce disque. Il apparait une première fois sur Tu Es Ma Pause Déjeuner : aigu et criard, sensible et lyrique, emphatique et sauvage comme les cris d’un petit animal coincé mais déployant tout son instinct de survie. Tu Es Ma Pause Déjeuner est le point de basculement d’un disque qui se payait déjà le luxe d’être intrigant et haletant. Cette musique de l’âme qui vascille pour mieux renaitre touche alors au plus juste et devient définitivement bourrée d’émotions, elle est aussi intemporelle et poétique que celle d’un Soft Machine endossant la combinaison magique du Surfer d’Argent. Et il en sera ainsi jusqu’à Maloyeuk qui est de loin la composition la plus grandiloquente du disque – et comme un vrai coup de grâce, celle qui bien sûr ne vous épargne pas mais vous touche encore et encore.»
Heavy Mental - 17 juillet 2012


«Une entrée en matière chrombissante. Du genre de celle qui vous fait reculer dans votre chaise et chercher vite fait les bouchons de protection au fin fond du sac.... On ne sait jamais. Equation facile : 1 keyboard + 1 sax alto / machines / voix + 1 basse + 1 batterie. Si possible prenez quatre jeunes bien barrés. Réponse possible : Chromb!
Encore un drôle de voyage musical. Après deux morceaux, le groupe se dévoile. Le jazz s'éloigne, Un bon gros son rock, bien trash, dans le sens noble du terme. Un rock psychédélique, bien léché, avec un vrai effort réalisé sur le traitement de la voix. Antoine Mermet devient progressivement le personnage central du set. Ce n'est pas sans me rappeler un groupe bizarre des années 80 : Devo, d'Akron (Ohio), capitale du pneu. Captivant.»
Pascal Derathé - Jazz Rhône-Alpes n°345 - 1


 «La punkitude a la vie dure. Phénixienne, elle se réinvente avec constance et, très souvent, là où on ne l’attend pas. Rendons hommage au passage aux jeunes russes des Pussy Riot qui font vivre le mouvement jusque dans les geôles poutiniennes. D’autres encore, de par le monde, connus ou inconnus, réclament leur dû en matière de liberté. En ces temps d’urgence, l’heure n’est plus aux fleurs et à l’amour. C’est dire si cela va mal.
Et le jazz dans tout cela, dites-moi ?
Il s’accommode lui aussi fort bien de l’énergie punk même s’il ne semble pas la revendiquer outre mesure... Le groupe Chromb en est, par certains aspects, un bon exemple. Lauréat du Prix Jeune Public du tremplin Jazz(s)Ra en mars dernier, il a sorti une galette alternative branchée sur 380 (faudrait savoir ! ). Débridée et insouciante, quelquefois post "King-Crimsonnienne", la musique qui la compose ne manque pas d’attrait.
Certes, les membres du quartet n’affichent pas leur fibre révolutionnaire, tout du moins ils n’en font pas profession de foi. Mais il est indubitable qu’ils agitent le bocal et qu’ils le font avec un brio qui caresse la « zornitude » dans le sens poil. Jeunes et déjà brillants techniciens, ils ont en outre le goût de la gaieté, le sens de la composition et de la dramaturgie rock’n’roll.
Sur scène, ils sont enthousiastes et fédèrent sans difficulté le public. Sur disque, il ne sont pas moins remuants, à peine plus sérieux et toujours aussi persuasifs. On ne vous fera pas le couplet technique genre « musique pour musiciens » etc... car pas académique pour deux sous, la musique de Chromb fonctionne au kérosène. C’est dit. Elle part souvent en sucette post symphonique New York d’en dessous. C’est cool. Ses musiciens ne se privent de rien. C’est bien (même si ça pue un peu la sueur...).
Ce n’est pas purement du jazz avec un J majuscule. C’est vrai. Mais qu’est-ce que ça fout là alors, me direz-vous ? Eh bien, je vous le répète : ils sont les lauréats du Prix Jeune Public du tremplin Jazz(s)Ra 2012. Et le jeune public, c’est le public de demain. Ce qui signifie qu’il faut l’écouter (le public...).
En attendant écoutez Chromb !, programmez-les et allez les voir (l’inverse fonctionne aussi) et on en reparle après. Ok ? De toutes les façons, si ça se trouve, à l’heure qu’il est, ils écoutent Billie H en boucle...
Yves Dorison - Culture Jazz - 17 septembre 2012