Jalousie / David Lafore par _Delphine

Si David Lafore avait plusieurs vies, sûr qu’il saurait en faire bon usage. Il se verrait bien romancier, cinéaste, ou comédien. Mais c’est comme chanteur qu’on le découvre aujourd’hui. Ce qui n’est déjà pas si mal, la chanson ouvrant en douceur et en mineur sur toutes ces disciplines. D’abord, Lafore est un poème à regarder sur scène. En costume sorti tout droit d’une série d’Elliot Ness, il porte l’ironie, le sarcasme, la distance, tous ces sentiments qui semblent aller contre la sensibilité mais qui s’avèrent être la marque de ceux qui ont l’élégance de ne pas jeter en pâture leurs émotions à la première oreille venue.
Et puis, avec ce regard qui vous prend de biais, cela forge une attitude un peu dandy, nonchalante, au bord du saoul, qu’on ne manquera pas de rapprocher de Gainsbourg à ses débuts. Donc de Vian, puisque Gainsbourg lui avait emprunté ses expressions glabres. Ca pourrait aussi être Dutronc à écouter cette chanson, « Fleur de rondpoint » : « Je suis une fleur de rond-point / Une fleur municipale / Le gasoil me tient / Par les pétales. »
Chez David Lafore, on fuit les grandes métaphores, on s’en tient à une écriture économe, qui cherche dans la simplicité des rimes à s’élever du plancher des pâquerettes. Une retenue de style qui balaye un registre étendu de langages tour à tour soutenu, cru, poétique et prosaïque. Le joli est l’ennemi du beau. Et la beauté trouve ses attraits dans une conjugaison de traits irréguliers, de difformités, qui font qu’on admire plus longtemps une

forme un peu bancale qu’un édifice sans aspérités, sans contrastes.
David Lafore écrit des chansons pour passer le temps, parce que sinon la vie est ennuyeuse. Son premier groupe (rock new wave) s’appelait les Trompes d’Eustache (conduit d’oreille), un mélange de « chansons débiles et sensibles ». Parallèlement, il a trouvé les membres de son groupe, David Lafore Cinq Têtes, aimable hydre composée de Thibault Frisoni, Mathias Barison, Djamel Taouacht, Scott Taylor et Quentin Leroux; depuis peu, il enchaîne une série de concerts en solo en enrichissant son répertoire de nouvelles chansons.
L'une d'elles a un drôle de refrain. On ne comprend pas tout d'abord dans ces onomatopées absurdes se finissant sur un nom de bonbon à la fraise: « Sur ma mule, cahin- caha, clopi-clopa-tagada. » David Lafore doit tenir ce genre de gimmick du temps où il était comédien dans un théâtre pour enfants. Il apparaissait devant eux en Gargantua, car ce qu'ils préfèrent dans les contes ce n'est pas le baiser du prince à la fin mais tous les épisodes qui précèdent, l'humour noir, le sang sur la robe de la princesse. Sur ma mule est une belle invitation au voyage, avec l'ami ou la compagne qui vous pèse mais que vous supportez finalement en faisant route ensemble. Mille lectures peuvent être faites de cette chanson en « ule » qui va voir de l'autre côté de la colline si l'on y est à dos de mulet. Sur ma mule est aussi une chanson de place de village, de saltimbanque saluant comme Lully à la cour de Versailles.
Avec une pointe d'irrévérence, David Lafore remercie ainsi en concert le public qui est roi. À une époque, il mimait les pas de danse de Michael Jackson dans une reprise de Billie Jean. Une chanson de danse sur un texte de homeless noir-américain. David Lafore, lui, chante qu'il a un coeur de pitre. On a le droit de ne pas le croire.