expo poèmes et dessins

Brundibar

une maison aux arbres sans feuille
Margit Ullrichova (1931-1944, Auschwitz) © Musée juif de Prague
Cette exposition présente les dessins et poèmes réalisés par des enfants juifs emprisonnés,  pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le ghetto de Therezíenstadt, vitrine en trompe l’œil de la « solution à la question juive » imaginée par les nazis et dernière étape vers les chambres à gaz d’Auschwitz. Ces milliers d’enfants assassinés nous ont laissé un bouleversant héritage : leurs dessins et leurs poèmes, symboles de leurs rêves et espoirs, pour la plupart jamais réalisés. De leur passage à Terezin, sera conservée une documentation constituée par près de 5.000 dessins, des centaines de poèmes et autres écrits, comme des journaux intimes ou des magazines.
 
A travers ces créations, les enfants de Terezin expriment leurs joies et leurs peines, font partager leurs souvenirs, leurs désirs et leurs craintes, et trouvent un moyen d’échapper, du moins en pensée, aux conditions de vie extrêmes du ghetto, qui engendrent angoisse et désespoir. C’est ainsi que les enfants réussissent à créer, malgré la peur permanente d’être inclus au prochain convoi de déportation, ou de voir leurs amis et leurs proches partir de force vers l’inconnu, malgré la faim, la maladie et la mort, un monde de jeu et de rêve, qui contraste avec la dure réalité du quotidien.
 
 

Sur le plan thématique, les dessins illustrent, d’une part, des sujets ordinaires, que les enfants dessinent normalement et qui font appel à des souvenirs chers et lumineux : des paysages réels ou imaginaires, des rues, des maisons, la famille réunie, des scènes de fête et de jeu. D’autre part, les expériences du camp, avec ses dortoirs, ses lits superposés, ses baraquements, ses convois, et autres aspects sombres, se traduisent par des dessins plus tristes. Quant aux poèmes, ils sont un autre moyen d’expression qui accompagne et complète souvent la peinture. Les poésies, qu’il s’agisse de comptines enfantines un peu naïves, gentilles ou amusantes, ou de réels essais poétiques, expriment le désir de partir ailleurs, de retrouver sa vie d’avant, ainsi que la nostalgie du monde perdu et la peur de l’avenir.

Terezin se trouve en République tchèque, à 60 kilomètres de Prague, ancienne forteresse militaire. Elle est transformée en ghetto sous l’occupation nazie. De novembre 1941 jusqu’au 20 avril 1945, Terezin est un camp de concentration réservé aux Juifs.
 

Le ghetto de Terezin accomplit simultanément plusieurs fonctions :
  • lieu de transit avant le transfert vers un camp d’extermination, tel que Auschwitz ; 
  • lieu de décimation : les conditions de vie y sont insupportables, les personnes affaiblies, malades, jeunes et âgées meurent suite aux privations et aux mauvais traitements;
  • outil de propagande : durant l’année 1942, le Conseil juif de Terezin soumet aux nazis le projet de Département de l’organisation des loisirs, divisé en plusieurs sections: musique, théâtre, conférences, activités sportives, etc. 


Ces activités, plus ou moins tolérées au départ, sont soutenues et utilisées pour servir la propagande nazie. La riche vie culturelle du ghetto devient vite un des piliers de la politique de mystification mise en place par les SS, qui se servent des réalisations artistiques pour donner au monde l’illusion d’un Paradeisghetto. Même la Croix-Rouge se laissera leurrer par les nazis et leur fausse représentation du « ghetto-modèle », en réalité une maquette factice qui joue le rôle d’écran censé combattre, selon Eichmann, la propagande alliée relative aux crimes du Reich hitlérien.
 
Le ghetto de Terezin appartient à l’appareil génocidaire ; sa formation est liée aux déportations vers l’Est, ainsi que son bilan humain. Sur les 139.654 Juifs enfermés à Terezin (dont 10.500 enfants), originaires de Bohême, de Moravie, de Slovaquie,  d’Allemagne, d’Autriche, du Danemark, des Pays-Bas, de Hongrie, 33.430 y meurent et 86.934 sont déportés vers l’Est, où plus de 83.500 d’entre eux trouvent la mort. Moins de 200 enfants ont survécu.
 
Afin de protéger les enfants, le plus possible, des effets de la vie du camp, les adultes décident que ceux-ci doivent vivre ensemble, à l’écart des grandes casernes insalubres. C’est pourquoi tous les enfants, à l’exception des enfants en bas âge, sont transférés, à partir de l’été 1942, et en fonction de leur sexe, dans un foyer pour enfants, où ils ont des dortoirs communs et des possibilités de jeu. Pour beaucoup d’enfants, le ghetto est un choc. La séparation de leurs parents, l’effroyable expérience de la déportation dans le ghetto et les conditions d’existence qu’ils y trouvent causent des perturbations chez beaucoup d’enfants : ils se replient totalement sur eux-mêmes, deviennent hyperactifs, agités. Pour survivre, ils doivent, tout d’abord, réapprendre le jeu. L’action éducative mise en place par les adultes revêt trois grandes caractéristiques : la continuation de l’enseignement commencé par les associations juives dans le Protektorat, la mobilisation de tous les moyens pour assurer l’avenir des enfants et, enfin, une présentation positive du judaïsme, malgré la présence nazie. Les Allemands admettent les cours de dessin et de chant, mais pas la littérature, l’histoire ou les sciences, jugeant ces matières, sans doute, trop dangereuses.

" Jadis j’étais un enfant
voilà tantôt trois ans,
Ma candeur rêvait d’autres mondes.
Elle est passée, l’enfance.
J’ai vu les flammes,
je suis mûr à présent
et j’ai connu la peur,
les mots sanglants, les jours assassinés :
Où sont les croque-mitaines d’antan ?
 
Mais je sais que je me suis endormi
que je retrouverai mon enfance          
mon enfance telle une rose sauvage "
 
 
Comme une cloche qui sort du sommeil. »
(Terezin, poème écrit par Hanus Hachenburg, mort à Auschwitz en 1944)



 
« Un petit jardin
plein de roses, il sent bon
étroit est le chemin
où se promène ce petit garçon.
 
Un petit garçon si mignon
comme un bourgeon qui fleurit
quand s’ouvrira le bourgeon
le petit garçon ne sera plus.
(Le Jardin, poème écrit par Franta Bass, 1930-1944)
 

Selon l’historienne d’art Michaela Hajkova, « le dessin ouvrait ainsi une brèche aux souvenirs, au monde d’avant le ghetto. En regardant et en décrivant la triste réalité, les enfants étaient entraînés au-delà, vers un monde féerique et imaginaire, où le Bien triomphe du Mal, où règnent la liberté et la prospérité, le paradis sur terre. Sans cesse, les enfants exprimaient dans leurs dessins leur espoir d’un retour heureux à la maison, souvent avec des routes et des carrefours ayant des panneaux de signalisation indiquant Prague. »