critique et Clip de Rosa la rouge
Rosa la rouge
Claire Diterzi - Rosa la Rouge par naiverecords
Clip Rosa la Rouge Claire Diterzi
Critique | 18 mai 2010
«Rosa la Rouge» de plaisir
Ovni. La chanteuse Claire Diterzi et le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo signent une évocation bluffante de Rosa Luxembourg.
En vadrouille depuis le milieu des années 80, Claire Diterzi a déjà connu plusieurs vies musicales. Enfant du rock alternatif, elle anime le groupe Forguette mi Note, puis, brouillée avec Julie Bonnie - l’autre «femelle dominante» de la meute tourangelle -, personnifie une nouvelle bande titrée sans ambage Dit Terzi. En solo depuis le début de la décennie, elle sonorise Iris et IIris, spectacles du chorégraphe Philippe Decouflé, signe une B.O. pour le documentaire d’Anne Feinsilber, Requiem for Billy the Kid, et publie deux albums d’excellente facture, Boucle et Tableau de chasse - ce dernier, garni de chansons inspirées par des œuvres d’art, générant une tournée à la scénographie déjà peaufinée.
Mégarde. Ce survol pour dire que Claire Diterzi a plus d’un tour dans son sac à main (ou à dos), et que cette femme de conviction n’a pas croisé le chemin de Rosa Luxembourg par mégarde. Un garçon a quand même favorisé, puis matérialisé la rencontre. Il s’agit de l’homme de théâtre Martial Di Fonzo Bo, aussi bien acteur que metteur en scène, touche-à-tout au meilleur sens du terme, qui a développé un sens aigu de la troupe au gré des échanges avec Claude Régy, Luc Bondy, Rodrigo Garcia, Christophe Honoré, etc. Coauteur du spectacle et metteur en scène, Di Fonzo Bo a donc orienté Claire Diterzi dans l’aventure Rosa la Rouge. «Va écrire des chansons sur le marxisme, le léninisme, le capitalisme, le prolétariat… Ça groove pas des masses, non ?» s’interroge d’abord l’une. «Trouver les ponts avec la réalité d’aujourd’hui, la mollesse politique dans laquelle on se trouve, l’abandon total des utopies», aiguillonne l’autre. Et chacun d’attacher sa ceinture.
Absolu féminin. Figure emblématique du début du XXe siècle, Rosa Luxembourg a été dirigeante révolutionnaire, opposante déclarée à la Première Guerre mondiale, femme amoureuse et fondatrice du Parti communiste allemand. Emprisonnée plusieurs fois et assassinée en 1919 par les corps francs, elle incarne une forme d’absolu féminin (combative, sensible, généreuse…), qui ne laisse pas indifférente la sphère artistique. Récemment, la comédienne Anouk Grimberg a lu sa correspondance dans le dénuement d’une salle de théâtre (une table, une chaise, une carafe d’eau) ; Sylvie Testud a raconté son rêve de jouer un jour le personnage.
En attendant, Claire Diterzi y plonge tête la première avec une hardiesse exaltante. Mêlant chanson, théâtre, vidéo, danse et performance, conjuguant passé et présent, liant l’intime et l’universel, alternant gravité et déconnade, l’évocation embrasse - étreint - le Kirk Douglas du Spartacus de Kubrick et la ritournelle des Sept Nains vintage de Disney rentrant du boulot, une chorégraphie sur écran géant de galbes harmonieux en dessous rouges et un duo virtuel avec Lambert Wilson. Musicalement à l’unisson, les machines d’Etienne Bonhomme - comparse habituel de Diterzi - font bombance avec la guitare, le hautbois et le cor, pour dresser un panorama où l’opérette et l’electro encadrent le «tsui tsui» de ces mésanges charbonnières qu’affectionnait la pasionaria.
Spectacle gonflé, mais magnétique, Rosa la Rouge doit forcément déconcerter une partie du public. Dans la grande salle du Théâtre du Rond-Point, une fois acclimatée à ce traitement de choc, c’est un joli déluge de vivats qui clôt toutefois le gymkhana. Samedi soir, juste une voix masculine qui n’avait manifestement rien capté s’est élevée, grandiloquente, dans la pénombre : «Honte à toi, d’avoir sali le personnage de Rosa Luxembourg !» Sur quoi Claire la Rouge a attaqué en unique post-scriptum le Madame rêve de Bashung. «… Au ciel, Au ciel…»
article paru sur le site
http://next.liberation.fr/culture/0101636066-rosa-la-rouge-de-plaisir