l'espace de la représentation

Les Guetteurs I

Gislaine Drahy allongée sur le sol  lit le texte écrit au recto de grand  carton étalés sur le sol
Gislaine Drahy lit les guetteurs
« On parlera de coup de coeur… Or n’est pas sans une certaine hésitation que je me suis emparée de ce texte que j’avais beaucoup défendu en tant que membre du jury des Journées de Lyon. Ce type de résistance ne trompe pas, il accompagne l’admiration vraie, l’étonnement… Je me retrouvais bel et bien face à une écriture irréductible. C’est elle qui aurait le dernier mot !

J’ai donc choisi d’entrer par la porte basse des jardins secrets : la forme de la lecture spectacle, qui m’est, depuis des années, familière, m’autorisait à me glisser sur la pointe des pieds dans la trace des mots, à en éprouver le poids (réel, imaginaire), le pouvoir (hypnotique), et à partager, sur le mode d’une oralité revendiquée, mon bonheur de lectrice…

Suis-je partie de l’idée que le texte prendrait toute la place ?

Une sorte d’installation de mots dans l’espace, donc… car je désirais non seulement donner à entendre, mais aussi donner à voir, dans sa matérialité, le flux de cette écriture dense, courant de virgule en virgule sans trouver le repos, sinon dans de courtes pauses disséminées par l’auteur, comme instants d’aiguillage…

Prendre et donner le temps de ce déploiement en seize séquences, seize portes ouvertes sur l’inconnu. La gare, le train, l’autre gare, la campagne enneigée, le château, l’homme en armes…
Continuité, discontinuité, suspens… Quête, hésitation, hasard…
Habillage, déshabillage, dévoilement…

Seize séquences où les mots recouvrent et découvrent des images, des sensations, familières et étranges à la fois : autant de clins d’oeil ! Car ces images, ces sensations, nous les connaissons depuis la nuit des temps, depuis le premier livre lu, le premier conte entendu, le premier rêve souvenu… Mais elles ont pouvoir de surgissement et d’envoûtement. Aussi improbables et aigues que la toute première fois, elles nous font signe, et, comme la petite musique du joueur de flûte, nous conduisent et nous perdent…

Je savais qu’il devait exister comme une histoire d’amour secrète entre les mots et les images, une histoire d’amour qui résiste fermement à la tentation, vaine, de l’illustration. A l’idée d’installation est venue se superposer celle d’une image dispersée, un puzzle à rassembler. L’image, recomposée dans le retournement des mots, ouvrirait, ou refermerait toutes les « grilles de lecture »…

Merci à Daniel Batail (photographe) de m’avoir permis d’utiliser l’une de ses photographies.
Je savais que le corps se prêterait à l’esquisse. Qu’il devrait se plier au texte.
Merci à  Sophie Tabakov (chorégraphe) d’avoir accompagné mon parcours de l’espace, d’avoir soutenu gestes et immobilités.
Merci encore à Alain Lamarche (musicien) qui, travaillant à la frontière de la perception, creuse tout à la fois le silence et l’invisible. Et merci à tous ceux qui ont accueilli, fait retour sur cette aventure, dont le chemin reste ouvert…
(à suivre, donc) »