En même temps

En même temps

vanité, Gérald dans avec un squelette
vanité

Les trois coups

Élise Ternat
Les Bravos de la nuit • 42410 Pélussin

 

En même temps, d’Evguéni Grichkovets, Gérald Robert-Tissot charismatique

Peu connu du plus grand nombre, le festival Les Bravos de la nuit à Pélussin dans la Loire fête cette année sa 23e édition. À la manière d’un secret bien gardé, ce petit bijou de convivialité n’a rien à envier aux plus grands puisque son identité-même consiste en un choix d’ingrédients de qualité. Placé au coeur du parc régional du Pilat, ce festival sait offrir à ses spectateurs un cadre : belles pierres et verdure, mais également la programmation de cinq compagnies de théâtre sous forme de cartes blanches, d’impromptus, de lectures, mais également des concerts, un court métrage ainsi que des déambulations. Face à un tel programme, mon choix s’est arrêté sur « En même temps », spectacle adapté du texte d’Evguéni Grichkovets par la compagnie lyonnaise du Théâtre-Double.

Pour commencer, c’est dans la salle Le Caveau que le public pénètre et s’installe sous le regard d’un étrange protagoniste vêtu d’une chapka russe. L’espace scénique est plutôt dénudé. Seuls quelques objets suspendus, tous aussi étranges que l’individu à la chapka, attirent l’oeil. Une orange, un immense baluchon, une cervelle dans un bocal, un ventilateur ou encore un balisage au sol constituent le décor. À la différence du théâtre d’objets, tous ces éléments ne sont ici que prétextes à illustrer une pensée aussi vive qu’incisive. Le choix des éclairages, quant à lui, sait se faire présent sans excès pour créer des ambiances et des situations.
C’est un texte au rythme vif et intelligent qui emporte rapidement le public. En effet, il est question de toutes ces choses en apparence si anodines qui constituent les interrogations existentielles que tout un chacun a été amené à se poser un jour. On apprécie la formidable sensibilité d’un propos qui sait se faire aussi personnel qu’universel. Il est alors très facile de s’identifier au comédien, qui incarne ici le texte avec tout son charisme.

En effet, Gérald Robert-Tissot semble avoir intégré le rôle au point de lui donner parfaitement vie. Il « est » le texte et semble pouvoir ne jamais s’arrêter alors que l’attention du spectateur s’évade parfois. Il restitue avec une impeccable
vérité le ressenti d’un homme face à la guerre, au temps qui passe, aux émois ressentis à la pensée d’une star fantasmée, à la capacité du corps à faire parfois abstraction de l’autorité du cerveau… Bref, aux diverses dimensions
de ces évènements qui se produisent sans qu’on les contrôle, sans qu’on les comprenne, mais qui constituent une source intarissable de questionnements.
Ces interrogations d’ordre plus ou moins métaphysique flirtent tantôt avec la physique quantique, tantôt avec des souvenirs de petit garçon. On glisse bien souvent du rêve à la réalité dans ce texte d’Evguéni Grichkovets et l’on y reconnaît comme une tonalité russe qui rappelle parfois la plume du célèbre Nicolas Gogol.
Ainsi, ce spectacle, véritable variation autour de la notion de temps, renoue avec ce concept philosophique à travers les multiples interrogations qui se succèdent, telles les minutes qui composent une heure. Le tout se construit sur un rythme constant, soutenu par la seule présence du comédien. On apprécie et on applaudit.

Élise Ternat
Les Trois Coups
www.lestroiscoups.com

 

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Etienne Faye –
du 21 au 25 avril,

Le Théâtre D'OUBLE, c'est l'association d'un directeur d'acteurs, Jean-Marc Bailleux, et d'un comédien, Gérald Robert-Tissot. La compagnie présente à l'Elysée, après une création au Centre Culturel Théo Argence de Saint-Priest, En même temps, d'Evguéni Grichkovets. En même temps, comme écrit l'auteur, "il faudrait en parler d'un seul coup. Pas vite. D'un seul coup." C'est qu'il peut s'en passer des choses au même instant, et nous n'en avons pas conscience. Ou plutôt nous le savons, les trains roulent, des gens se concentrent sur la cuvette étroite des wc, quelqu'un meurt, à cette seconde précise. Nous le savons, mais cela ne vient pas en surface, nous vivons "sans y penser". Il y a aussi des aspects techniques du monde que nous préférons ignorer : comment, en effet, s'émerveiller du tour d'un prestigidateur si nous en décryptons chaque truc ? De la même manière, le personnage campé par Gérald Robert-Tissot regrette d'avoir appris que les trains ne vont pas tout-à-fait de Lyon à Berlin, par exemple.
Les cheminots assemblent les trains, ou les ramènent, à Givors-Ville. De savoir ça, le personnage se lamente, comme si son plaisir de voyager était parasité. "On te dit regarde, regarde, alors toi tu regardes et tu vois quelque chose que tu n'aurais pas dû voir, pire, tu comprends quelque chose". Comment être vraiment à l'endroit et surtout à l'instant où l'on est, comment ressentir l'existence si on n'oublie pas le monde, son organisation technique et sa vie innombrable ?
La connaissance, la conscience aigüe du monde et, finalement, la lucidité inhibent-elles nos sensations ? Ne nous empêchent-elles pas de vivre intensément ? Gérald Robert-Tissot est ici avec talent un homme qui se met à nu.
Sur son visage un air de douce ironie, dans sa voix les accents de la sincérité et de la confidence, il occupe seul - ou presque - la scène, sans qu'à aucun moment elle paraisse vide. Un tel espace n'est jamais vide, nous le savons tous, l'oxygène, les ondes hertziennes, les ondes radio traversent la scène !
"En ce moment même, peut-être... un appel au secours ?"