L’humour fait corps avec la tragédie


Avignon Off. À la Manufacture, un portrait en morceaux de Raymond Federman, un écrivain qui revient de loin.

Stéphane Müh, dont la compagnie théâtrale est sise à Grenoble, escorté tout du long par deux musiciennes de qualité, Crystel Chiaudano (saxophone, chant) et Babette Herault (saxophone), a présenté sous forme de monologue Mon corps en neuf parties, d’après Raymond Federman (1).

Sacré bonhomme, ce Federman, si peu connu en France, son pays d’origine. Petit juif né en 1928 à Montrouge, il échappe au pire lorsque sa mère, au cours de la rafle du Vel’d’Hiv en 1942, le jette dans un placard. Le reste de la famille sera exterminé. À la Libération, il émigre aux États-Unis, est tour à tour ouvrier, jazzman, golfeur, champion de natation, docteur en littérature diplômé de l’université de Columbia et grand ami de Beckett (il a dirigé les « Cahiers de l’Herne », à ce dernier consacrés). On lui doit quelque quarante livres. Il n’est publié en France que depuis 2001.

Ainsi, Stéphane Müh lui rend justice, avec cet autoportrait de l’auteur par double jouant interposé qui, dans une suite de savoureuses descriptions de portions de lui-même (cheveux, nez, oreilles, doigts de pied, etc.), récapitule son être, lequel demeure celui d’un rescapé par miracle.

L’admirable, dans ce texte à l’humour imparable, est que, sous couvert d’un narcissisme éhonté, Federman, en creux, pour ainsi dire, ne cesse de laisser sourdre la mémoire de l’Holocauste. L’enjouement de l’interprète, au dire si juste, fait la part belle à cette parole rare, au ton unique.

In humanité le 27 juillet 2009
Jean-Pierre. Leonardini.