Miguel de Cervantès: l'homme qui tua Don ichotte

L'Homme qui tua Don Quichotte

Deborah Lamy, le grand livre à la main... (photo Nino Pajot)

«Que personne ne s’avise, au mépris des lois de la mort, de nous sortir Don Quichotte de la fosse où il gît définitivement, étendu de tout son long, et bien incapable de faire une nouvelle sortie.» Miguel de Cervantes


Au-delà de ce que nous connaissons du célèbre Don Quichotte, de ses combats absurdes contre les moulins, de son inimitable tristesse ou de son irréductible fidélité à Sancho, nous ignorons souvent que l’oeuvre dont il est issu se compose de deux parties très distinctes l’une de l’autre et écrites à dix années d’intervalle.
Et si l’une lui donne la vie, l’autre la lui reprend…
Dans la seconde partie de ses aventures, Don Quichotte n’a certes pas changé dans la forme, ses joues semblent toujours s’embrasser l’une l’autre à l’intérieur de la bouche et sa fine moustache est tout aussi mélancolique, mais dans le fond il n’est plus véritablement le même. Ses aventures ont été traduites dans les plus grandes villes d’Europe et, s’abandonnant sciemment au vertige des jeux de miroirs, Cervantès a réussi un tour de force
audacieux en déposant malicieusement son livre dans les mains de son héros. C’est auréolé de succès et convaincu de son authenticité que Don Quichotte décide de quitter la table de travail de son créateur et de voyager librement à travers l’Espagne, le livre de ses exploits sous le bras. Il n’est point, dans la littérature universelle, un autre héros littéraire qui prenne son propre destin en main. Cervantès exploite d’ailleurs ce filon avec bonheur : durant toute la seconde partie du roman, Don Quichotte y évoque souvent le livre qui est en train de le décrire.
La seule chose que notre héros ignore réellement dans cette seconde partie, c’est que son créateur, échaudé par un écrivain peu scrupuleux qui a tenté en 1614 de lui dérober son oeuvre, a annoncé publiquement son intention de tuer son héros plutôt que de le voir courir l’Espagne sous de fausses couleurs :

« Afin que nul ne s’avise d’élever contre lui d’autres témoignages, ceux qui existent déjà étant bien suffisants… »

Sarkis Tcheumlekdjian, le 8 mars 2014