L'homme qui tua Don quichotte  (photo Nino Pajot)

LE POINT DE VUE DU TOME 2

Si nous avons décidé de nous intéresser plus particulièrement à la seconde partie des aventures de Don Quichotte, c’est parce qu’elle offre par ses mises en abyme plus de libertés, plus de fantaisies et plus de surprises que la première. Don Quichotte y apostrophe son créateur sans ménagement :

« Voyant qu’il ne peut rien contre moi, cet écrivain peu inspiré s’est vengé sur ce que j’ai de plus cher au monde, Sancho. Il a transformé ma Dulcinée en une grossière paysanne, en un laideron malodorant et vulgaire… »


L’interaction entre le créateur et sa créature est l’axe principal de notre adaptation. Ici c’est désormais Don Quichotte le héros de papier qui dictera le livre à Cervantès, l’écrivain fait de chair et d’os.
C’est avec ce dialogue livré comme «une impression de vie et de mort» entre la marionnette et son marionnettiste que s’articuleront les évènements sur la scène. L’équipée boiteuse que forment les deux compagnons de route, l’un aussi rond que l’autre est long, permet aussi de réfléchir le monde, de le lire ou de le prévoir avec tour à tour ironie, mélancolie ou ravissement. Sancho apporte souvent ce grain d’humanité qu’oublie ou que néglige Quichotte le chimérique. À ce mode de narration s’ajoute l’attitude ironique de Cervantès lui-même qui, tout en restant en dehors de l’histoire, fait comprendre par certains signes discrets, qu’il ne fait qu’un avec son héros…
« Pour moi seul est né Don Quichotte, et moi pour lui. Il a su oeuvrer et moi écrire. Lui et moi ne faisons qu’un. » Et si la mort du héros fait ici l’effet d’intervenir surtout comme une précaution prise pour empêcher une nouvelle exploitation littéraire, cela n’empêche nullement à l’émotion d’agir au moment crucial. Miguel de Cervantes, d’ailleurs, ne s’en remit pas ; il s’éteignit un mois plus tard.
Sarkis Tcheumlekdjian, le 12 mars 2014