du théâtre en cinémascope
Au pont de Pope Lick

un univers cinématographique
La pièce de Naomi Wallace accorde une place singulière aux images. Il s’agit d’utiliser la technologie numérique au service du texte, de l’histoire et de la représentation scénique.
Entre documentaire et fiction l’auteure situe la pièce dans les années 30 et construit une histoire de toute pièce, nous allons inventer une manière singulière de faire jouer des acteurs avec des images volées à la réalité et des ombres chinoises fabriquées sur scène, mises au service d’une fiction théâtrale.
L’histoire, construite sur un événement réel Le pont de pope lick existe bien dans le Kentucky, le fait divers a déjà été filmé plusieurs fois mais nourrie par l’imaginaire de la dramaturge, raconte de façon intemporelle le vécu des laissés pour compte de toutes les crises. Le parti pris consiste à faire de la fabrication d’images, en particulier des ombres, un matériau important du spectacle: scénographique (écrans en cinémascope) et dramaturgique (réutilisation des images à plusieurs niveaux par les interprètes: ombres des uns empruntées aux autres, présences
des morts aux côtés des vivants, traces partagées entre vie et survie).
La pièce est écrite en trois espaces: la prison, où se situe le temps présent; la maison et le pont de Pope Lick où se passent les épisodes passés vers lesquels nous faisons de fréquents flash back. L’immatérialité de l’image nous permet de passer très rapidement d’un espace temps à l’autre.
Les personnages n’ont plus de travail, plus de place. Cependant Naomi Wallace propose une pièce politique qui décortique des fonctionnements mais évite les analyses psychologiques et surtout la «dépression». Elle préfère montrer comment ces «laissés pour compte» vivent QUAND MÊME. Le père est vivant grâce à des ombres qu’il fabrique sur le mur. C’est ce point de départ que nous choisissons de privilégier ; les images sont donc d’abord traces de vie et, partant, axe scénographique et dramaturgique principal de l’histoire. Empruntées aux personnages, les images
sont l’alphabet commun à tous. Nous voulons les conjuguer tout au long de la pièce sur les écrans panoramiques pour créer un vocabulaire collectif et donner à voir la réalité de l’ailleurs qui les
fait rêver, symbolisé par ce pont, les oiseaux qui peu à peu envahissent le ciel, mais aussi la présence furtive des morts au milieu des vivants et la trivialité de leurs mains inutiles.
Personne ici n’a accès au cinéma ni au divertissement, mais tous se fabriquent des émotions, des images, donnent du mouvement à leur vie. Les jeunes se retrouvent sous le pont, la mère participe à des réunions interdites, le gardien de prison invente et mime des histoires, le père de Dalton est assis toute la journée mais créé des ombres chinoises. Nous le voyons les fabriquer avec ses mains, les retrouverons dans la maison comme traces de sa présence, en prison, ce seront de nouvelles formes fabriquées par le fils, devenues oiseaux imaginaires dans le ciel quand l’horizon
s’obscurcit. Outre les ombres d’animaux du père, le terrain de jeu des jeunes est un pont fait d’entrelacs métalliques particulièrement intéressants d’un point de vue plastique. Ce pont, à l’ombre duquel se passe l’histoire, est leur grande roue, leur parc d’attraction; c’est là que les jeunes se font « leur cinéma». La création en 3D du pont permet de s’adapter parfaitement à la scénographie et de le faire évoluer vers une présence de moins en moins réaliste et de
plus en plus ludique. Ce pont « numérique» créé en images de synthèse sera filmé comme une attract
ion de parc de loisirs et sera incrusté dans un ciel « de cinéma » qui évoluera au fil de la narration.
Par ailleurs, le train à vapeur disparaît des images au fur et à mesure du travail. Les diverses sources nous permettent de faire exister l’envahisseme nt de l’espace de vie des personnages par le bruit et la fureur que provoquent ce progrès qui passe à 136km/h au dessus de leurs têtes et, comme le dit la mère de Dalton «emporte toujours des gens mais ne ramène personne».Enfin, et c’est le centre du propos, L’héroïne, Pace, est morte quand commence l’enquête. Comme dans beaucoup de pièces de Naomi Wallace, les vivants côtoient les morts, les mondes sont poreux. En langage courant, nous pouvons dire que l’ombre de Pace rôde dans toute la pièce. Pourtan
t ce n’est pas triste, c’est un autre mode de présence aux autres. Elle n’est donc évidemment pas représentée par l’ombre d’elle même mais sera bien présente parmi les autres ; cependant, nous avons besoin d’outils numériques pour inventer des présences / absences singulières,
furtives, presque «magiques»; C’est ce dernier champ de recherche qui sert de vertex à l’ensemble du spectacle.