Hans Christian Andersen

Un petit soldat de plomb

Clara Materne
La dernière biographie de Hans Christian Andersen commence par cette phrase: « Ma vie est un beau conte de fées riche et heureux. » Il faut toujours croire ce qu’écrivent les auteurs. En tout cas, la première ligne d’un livre est souvent lourde de sens.

Quand le petit Hans Christian est arrivé au Danemark en 1805 à Odense, sa mère avait été contrainte par sa propre mère - qui la battait et lui imposait des clients - à se prostituer. La fille s’était enfuie, enceinte de Hans Christian et avait épousé M. Andersen, pauvre cordonnier. Cette femme était prête à tout pour que son fils ne connaisse pas la misère.

Alors, elle est devenue blanchisseuse et le père s’est fait soldat sous Napoléon. Alcoolique et illettrée, elle est morte dans une crise de delirium tremens tandis que le père se tuait en pleine démence. Le petit garçon a dû travailler dans une draperie, puis dans une usine à tabac où les relations humaines étaient souvent violentes. Pourtant, Hans Christian, né dans la prostitution, la folie et la mort de ses parents, dans la violence et la misère, n’a jamais manqué d’affection. « Très laid, doux et gentil comme une fille », il a d’abord baigné dans le désir de sa mère qui souhaitait le rendre heureux, puis dans le giron de la grand-mère paternelle où il fut tendrement élevé avec l’aide d’une voisine qui lui apprit à lire. Odense était fortement marquée par la tradition des conteurs.

Le petit monde du petit Andersen devait s’organiser autour de ces deux forces :  une «obscure clarté » ou un « merveilleux malheur ».
Ces mondes opposés étaient liés par l’art qui transforme la boue en poésie, la souffrance en extase, le vilain petit canard en cygne. Sa mère qui le réchauffait par sa tendresse, baignait dans l’alcool et mourait dans le vomissement du delirium. Une de ses grands-mères incarnait la femme-sorcière, celle qui n’hésite pas à prostituer sa fille, tandis que l’autre personnifiait la femme-fée, celle qui donne la vie et invite au bonheur.
C’est ainsi que le petit Hans apprit très tôt la représentation d’un monde féminin clivé qui fera de lui plus tard un homme intensément attiré par les femmes, et terrifiés par elles.

A quatorze ans, il arrive à Copenhague, vit dans le quartier des prostituées, s’essaie au chant, à la danse, à l’art dramatique, tombe amoureux d’une petite bossue, plus tard d’une prestigieuse cantatrice, sans d’ailleurs avoir avec elles ni avec aucune autre femme le moindre rapport.

Le vilain petit Hans avait rencontré, au cours de son enfance terrifiante, les deux principaux tuteurs de résilience : des femmes l’avaient aimé et des hommes avaient organisé un entourage culturel où les contes permettaient de métamorphoser les crapauds en princes, la boue en or, la souffrance en œuvre d’art.

Des romans, des poèmes, des pièces de théâtre. Puis les merveilleux contes. Très vite, il devient un des hommes les plus célèbres d’Europe ; traduit en 15 langues (et jusqu’en bengali!), il est invité par les souverains dans leurs châteaux, accueilli à Weimar comme Goethe et, lorsqu’il va à Londres, c’est chez Dickens qu’il descend. Le conte de ma vie s’achève en 1875, au moment où « Le vilain petit canard » va rejoindre au pays « La reine des neiges » « La petite marchande d’allumettes » « La petite sirène » et « La fée au sureau ».
Une partie de la biographie est tirée du livre «Le murmure des fantômes» de Boris Cyrulnik