Festin d’histoires à feu (tout) doux

Un petit soldat de plomb

Erik Duckers

Avec « Un petit soldat de plomb », la Cie Arts et Couleurs dégaine la recette du spectacle qui tue.C’est le plus gros coup de coeur jusqu’à présent. Huy, c’est aussi le plaisir de rencontres improbables.


C’est un sans faute, une mention excellente, une note triple A, bref, le spectacle parfait ! On ne l’attendait plus, et pourtant, le voilà, le petit bijou de ces Rencontres de Théâtre Jeune Public, dont on devine qu’il va sillonner les écoles et centres culturels dans les prochains mois et années. Autant dire que vos enfants, de 5 à 12 ans, n’ont pas le droit de le louper.

Les adultes se régaleront également. Avec sa recette pour cuisiner Un petit soldat de plomb, la Cie Arts et Couleurs nous donne aussi les ingrédients d’un spectacle sublime. Première impression de suavité quand on pénètre dans une petite cuisine rustique avec sa grande nappe à carreaux rouges, ses louches généreuses et autres ustensiles engageants, ses plantes aromatiques qui, posées sur les gradins, vous picotent le nez.
La cuisinière elle-même respire les bonnes tartes aux pommes avec ses lunettes rondes, ses mains tartinées de farine et son tablier à fleurs. Nous voici conviés à une séance de « Si la cuisine m’était contée ». Au menu aujourd’hui, Un petit soldat de plomb d’après Andersen.
Epaulée par Hubert, l’homme à tout faire, Suzanne va nous apprendre à mitonner une histoire. Prendre deux kilos de plomb, une petite danseuse, quelques jouets pour la garniture et le tour est joué. Sauf que les imprévus vont s’accumuler, entre le four qui fait des siennes et une préparation au plomb qui fait sauter les plombs.

Ce qui impressionne le plus, c’est l’inventivité de ce théâtre d’objets qui transforme une plante de basilic en forêt ou quelques bouteilles d’eau surplombées d’entonnoirs en château envoûté. Un tire-bouchon devient hibou, une tabatière fait surgir un troll, du sel convoque la pluie et l’on est complètement harponné par cette histoire d’un soldat estropié d’une jambe et d’une ballerine elle aussi en équilibre. Le tout sur un fil délicat, entre émotion et émulsion, entre émerveillement constant pour les plus jeunes et étonnement des adultes face à des effets spéciaux cuisinés avec tendresse et un sens du détail inouï.

Mis en scène par Vincent Raoult, et interprété par Martine Godard et Benoît De Leu, le spectacle vous surprend à chaque minute, grâce à un décor comme ensorcelé. Des théières animées se mettent à chatouiller le cou des spectateurs, la nappe se creuse en une rivière bientôt secouée de vagues gigantesques, le four recrache des spécimens de toutes sortes, et des ombres de requins, poulpes et autres hippocampes dansent sur les murs. Tout comme le soldat de plomb qui finit par fondre avec sa bien-aimée, on se liquéfie de bonheur devant ce festin de bonnes idées.

Catherine Makereel- Le Soir du lundi 22 août 2011