teatrothèque

Rouge

l'écho d'une jeunesse prise dans l'étau d'un malaise social, qui monte en puissance jusqu'à pousser la raison d'être dans un déferlement de violence, rouge comme le sang.

Emmanuel Darley n'est pas auteur à mâcher ses mots. Ses textes, des récits de vie extraits à l'homme et à la femme de la rue. Des destins qui se croisent dans l'anonymat du quotidien, se frôlent dans la mixité sociale, s'adressent un regard furtif sans s'observer. Un jour, un hasard, une rencontre, des mots, des virgules, des échanges, des points de suspension. Des biopsies prélevées sans anesthésie locale, des tensions qui naissent, des envies de tout bousculer gagnent les esprits, des gens qui se révèlent à la face des autres, des voix qui s'élèvent haut, très haut, des corps qui rentrent dans le tas, résistent ou tombent sur le macadam de l'inconscience collective.

Pitch. Une bande de copains qui s'est connue sur les bancs de la Fac décide d'investir un immeuble vide pour le squatter. Garçons et filles partagent la même envie de vivre, refusent les codes imposés par la société, se fondent dans une irresponsabilité qu'ils revendiquent en buvant et en fumant. Le petit groupe décide de dénoncer son ras-le-bol en commettant des exactions. Rouge est né.

Rouge, la couleur de fond de l'étoile surmontée d'un fusil d'assaut de la bande à Baader, die Rote Armee Fraktion, la couleur du logo des Brigades Rouges, Brigate Rosse. Des organisations terroristes d'extrême gauche allemandes et italiennes qui semèrent la peur et firent couler le sang outre-Rhin, en Suède et en Italie de la fin des années 60 aux années 80-90.

Rouge, le nom qu'a choisi cette bande de copains, un avertissement. La politique des corrompus, les privilèges réservés à l'élite sociale, le fric, ils rejettent en bloc. Comme dans tout mouvement, un leader se démarque du groupe, il a une grande gueule qui porte le propos en caisse de résonance. Rouge, la couleur des bombes aérosols utilisées pour taguer les DAB et signer leur passage. Rouge, la volonté de frapper plus fort en tapant sur les forces de l'ordre présentes dans les manifs. Rouge, la couleur de l'irréparable, le sang qui coule.

Maïanne Barthès réalise une mise en scène qui bannit les faux-semblants, les soupirs de jeunes filles, les couilles molles. Du direct, de l'action, des connections sur le vif du sujet, des paroles lancées pour provoquer, des regards engagés, des corps qui réagissent de façon mécanique et instantanée. L'orientation de la mise en scène s'intègre à la violence de l'actualité, les kalachnikovs font peur, les flingues sont armés pour tuer. Un coup de feu. Un mort dans la bande. Des arrestations. Garçons et filles commencent à douter, à se retirer, à se ranger de l'autre côté de cette vie contre laquelle ils se sont battus. La révolution ne dure qu'un temps et il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.

La scénographie d'Hélène Eiché, des caisses en bois assemblées, étalées, remontées, éparpillées. Le décor évolue avec les énergies libérées par l'espace, la matière brute des éléments convoque les colères pour éviter les silences.

La musique d'Alain Féral, une partition écrite sur des sons enregistrés à l'extérieur destinés à être transfuser dans des veines où circule déjà les prémices d'une révolution intérieure. Les lumières d'Aurélien Guettard, la révolution est sous haute-tension.

Hugues Chabalier, Fanny Chiressi, Charlotte Ligneau, Matthieu Lemeunier, Marc Menahem, Anne-Juliette Vassort, la parité artistique, la parité sociale défendue à un peu à droite, beaucoup à gauche, modérément au centre. Des garçons et des filles de la rue, des comédiens magistralement investis sur scène. Ils jouent tous ensemble pour de vrai, ils disent des choses qui blessent, ils font des choses qui dérangent, ils sont soudés jusqu'à la rupture.

Rouge, un collectif artistique intéressant à découvrir pour comprendre les dérives sociales et humaines engendrées par le monde en mouvement.


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