Les Mayas ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Leur prétendue prédiction selon laquelle le monde s’achèverait en 2012 aura eu une conséquence imprévisible : dans Le Dernier Présent, Alexis HK parle de la fin des temps. Triste ? Au contraire ! Il promet « Chaque instant comme dernier présent/Quand je sens la peur/De l’heure de s’enfuir ». Une leçon de vie joyeuse et de sérénité souriante…
Le quatrième album d’Alexis HK est à la fois le plus solaire et le plus grave qu’il ait enregistré. On y entend de grandes questions et un doux carpe diem, on y arpente le terrain des psy et la carte du Tendre… « Cette fameuse histoire d’apocalypse était le point de départ de la chanson Le Dernier Présent. Du coup, la plupart des chansons ont conservé l’idée un peu mélancolique d’une urgence à parler du bonheur. À l’arrivée, cela fait quelque chose d’assez serein. »
Et la plupart des chansons semblent répondre à l’injonction d’ouvrir le coeur. Ainsi, Je reviendrai chante « Ceux qui m’ont aimé et sont partis ailleurs » et promet de les retrouver – une méditation toute simple sur un insondable vertige existentiel. « J’ai voulu quelque chose de direct, d’émouvant. Dans la petite révolution que j’ai effectuée sur moi-même, j’ai décidé de dire des choses plus simples, plus à découvert, mais sans entrer dans l’emphase. »
L’album de la maturité, comme disent les critiques ? « Je ne dirais pas « mûr ». Disons que je suis moins dans l’anecdote et dans la blague. Je ne me sens pas sérieux, mais posé. J’ai un cadre de vie très agréable, tout ce qu’il faut pour être heureux et, justement, parce que j’ai tout pour être heureux, je pose cette histoire de fin du monde pour dire de profiter maintenant – surtout si l’on est heureux. »
Car il est heureux, le bougre. Une maison au milieu des vignes, là-bas dans l’Ouest. « Je ne vois pas grand monde. Si je veux être sur le registre de l’observation, je ne vais raconter que des histoires de vignerons avec le rouge aux joues. Alors je vais vers l’introspection… » Mais cette introspection conserve à Alexis HK tout ce l’on connait de lui : la virtuosité poétique de son mélange de langue littéraire et familière, son imagination extravagante, ses parodies de chansons anciennes (« j’aime les anachronismes et j’aimerais faire un jour tout un album médiéval »), sa manière oblique de foudroyer les tares de l’époque… Visant çà et là beaucoup de travers contemporains, il saisit même parfois le bâton à deux mains pour cogner fort : « Ça fait du bien de temps en temps de mettre les pieds dans le plat, notamment dans On peut apprendre. Mais il ne s’agit pas d’un discours en douze minutes. Ce sont des propos de passage, tranchés et rapides. Ça reste naïf, ce n’est pas un propos de politique mais un propos de ménestrel. »
Le ménestrel a retrouvé Matthieu Ballet, qui avait déjà produit l’album Les Affranchis en 2009. Travail nomade, chez l’un ou l’autre, ou à la rencontre des musiciens invités, comme BabX au piano ou Pierre Sangra, guitariste de Thomas Fersen qui rejoindra le groupe d’Alexis HK pour la tournée de cet automne. Avec Matthieu, il a choisi des arrangements directs, limpides, discrètement audacieux et expressionnistes – des pianos flegmatiques, des banjos débayoutisés, des guitares au détachement savoureux que Ian Caple a cajolés au mixage. Ainsi, les chansons sont denses, digestes, vives, ne s’appesantissent pas en digressions et en mises en scène. On y voit surgir notre quotidien dans des couleurs de tableaux de maître, dans des formes tracées par un enlumineur fauviste…
Alexis se délecte d’enregistrer aujourd’hui « en toute liberté et toute indépendance ». Il reconnait volontiers n’avoir ni méthode ni planning pour écrire ses chansons, que « Je reviendrai a dû être écrit en neuf minutes et Fils de en plusieurs années. » Mais il est vrai que cette dernière chanson, portrait collectif d’une génération qui devient quadragénaire, est d’une belle portée à la fois intime et sociétale. Et il n’a plus de crainte à s’aventurer dans ces lieux-là : « Quand on y entre, on sait qu’on va trouver du propos et de la matière. J’avais envie de cette mélancolie positive, envie de décrire la période curieuse que l’on vit : la crise est au-dessus de nos têtes et nous angoisse, mais on réussit à se créer des structures affectives fortes, on passe de beaux moments avec des gens qu’on aime… »
Et comment ne pas sentir chez lui le bonheur du partage, la jubilation à tourner les chansons pour qu’elles nous touchent avec autant de douceur hilare que d’exigence éthique ? Alors on ne doit pas prendre Ignoble noble pour un plaisir fantaisiste partagé avec ses complices de la tournée « Seuls à trois », Renan Luce et Benoît Dorémus. Sous le rire, on y perçoit un regard très aigu sur notre époque. Et l’on sent bien que cette colère contre la violence sociale et cette tendresse pour les destins ébréchés est la vérité d’Alexis HK. « J’ai appris à être en conformité avec ce que je suis quand j’écris des chansons. Pas de mystification, pas d’entourloupe. » Aujourd’hui, c’est rare…

  (p)&(c) La Familia 2012
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