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Tartuffe (2012)

Tartuffe se rapproche d'Elmire et l'enlace ...
Tartuffe tente de séduire Elmire © David Anemian

Chronique de Mo 19 janvier, 
sinon rien by sophie



Un « Tartuffe 2012 »
à la lumière de la montée des intégrismes

Un « Tartuffe 2012 » à la lumière de la montée des intégrismes Poursuivie par sa mère et sa suivante sur un choral de « La Passion selon Saint-Jean» de Bach, la jeune Mariane en sous-vêtements, effrayée, éperdue, essaie de se soustraire à la robe nuptiale. Avec cette simple scène, muette et poignante, Laurent Vercelletto en dit bien plus que tous les discours sur le mariage forcé.
Metteur en scène de « Tartuffe 2012 », ainsi intitulé sar il supprime la fin du 5° acte que Molière avait écrit pour échapper à la censure de la compagnie du Saint-Sacrement, il souligne avec acuité la modernité d'un texte longtemps laissé aux portes du purgatoire à une époque où la politique l'emportait encore sur la religion. Depuis, les excès des religieux intéressent les médias qui font la Une avec les faux dévots, les sectes, les captages d'héritage ou la pédophilie.
L'hypocrisie de Tartuffe reflète ce dérèglement d'une morale sociale avec laquelle, en privé, on prend des libertés.
Dans ce spectacle, Laurent Vercelletto renvoie les cultes monothéistes dos à dos. Les sons de cloches résonnent sur l'appel du muezzin, des chandeliers à sept branches côtoient la croix, Orgon et Tartuffe portent la barbe, les personnages sont habillés avec la sobriété d'une bourgeoisie rétrograde des années soixante.
Autant de signaux d'alarme à l'adresse du public qui découvre cette pièce interprétée par Christine Brotons (Dorine), Philippe Vincenot (Orgon) et Roland Depauw (Tartuffe), entourés d’une distribution séduisante qui manie l'alexandrin sans affectation.
Antonio Mafra Le Progrès  20 janvier 2012



Un sacré dépoussiérage


Ce n’est pas n’importe quel classique que Laurent Vercelletto, plus connu pour ses explorations de textes contemporains, a choisi de mettre en scène. Non seulement il s’agit d’une des « grandes » comédies de Molière, écrite en cinq actes et en alexandrins, avec très peu de recours à la farce et un propos qui la destinerait davantage à la dénomination « tragédie », mais elle évoque l’intolérance et le fanatisme religieux qui, déjà au XVIIe, pesaient de tout leur poids sur la vie quotidienne. Ces sujets, hélas, sont aujourd’hui toujours d’actualité, avec la montée des intégrismes de tout poil et leur volonté de se faire entendre jusque sur les scènes de théâtre. D’où l’ajout au titre : « Tar-tuffe 2012 ».
La pièce se déroule dans le huis clos familial d’un banquier parisien, Orgon, qui a fort in-considérément donné toute sa confiance à un dévot qu’il prend pour un saint homme alors qu’il n’est qu’un hypocrite, un homme doucereux et calculateur… En réalité, Orgon s’est en-tiché, toqué de Tartuffe, délaissant pour lui plaire sa femme Elmire, oubliant d’être un père pour ses enfants, niant jusqu’à ses propres intérêts. Il est « sous influence » dirait-on au-jourd’hui, « tartuffié » comme le lui rit au nez Dorine, sa servante. La pièce, on le voit, est à la fois extrêmement moderne par son sujet et grave. Comment la famille évitera une ruine certaine, comment Marianne échappera à un mariage honni et Damis recouvrera ses droits de fils : telle est l’intrigue.
On voit poindre ici quelques thèmes chers à l’auteur : la charge contre la toute-puissance des pères, le refus des mariages forcés et, bien sûr, l’attaque en règle contre les dévots… C’est évidemment de ce côté aussi qu’il faut aller chercher l’intérêt de Laurent Vercelletto pour un texte dont il entend démontrer l’actualité, et non du côté du mécanisme de la comédie. À telle enseigne qu’il s’autorise, malgré un respect scrupuleux du texte, à y ajouter un insolent et très iconoclaste prologue et à en supprimer la fin joyeuse, tout à fait artificielle et lourde et longue et surtout inutile aujourd’hui, il faut bien le reconnaître. Le propos est clair : ce que dénonce ici le metteur en scène, c’est la dangerosité de tous les intégrismes, présents au cœur des trois grandes religions monothéistes.
Le théâtre contre les intégrismes
Un décor très sobre signé Charles Rios, un grand rectangle cerné de voiles qui figure la mai-son, rend possible la circulation, ainsi que la présence sur scène des comédiens une fois leur rôle terminé, et permet aussi de s’immiscer à l’intérieur, presque par effraction, pour y obser-ver ce qui s’y passe. Ces voiles serviront le moment venu à dérober aux regards ce qui doit rester caché. Car, bien sûr, c’est dans le cercle privé que se joue le mieux l’oppression. Pour tout accessoire, un banc, un chandelier à sept branches, l’ombre d’une croix. Quant au troi-sième « signe », c’est Orgon qui le porte, sous la forme d’une barbe fournie. La référence aux trois religions est encore sensible dans la bande-son qui mêle avec virtuosité et légèreté musi-que sacrée et chant des muezzins.
Vercelletto, qui fut comédien avant d’être metteur en scène, et le reste comme le prouve sa délicieuse interprétation de Madame Pernelle, mère d’Orgon, excelle dans la direction d’acteurs. Tous sont justes, et il faudrait citer toute la distribution : Philippe Vincenot campe un Orgon à la rigidité de façade ; Alexia Chandon-Piazza, Maud Roulet et Côme Thieulin, qui jouent les trois jeunes, rendent hommage par leurs qualités à l’école dont ils sont issus, l’E.N.S.A.T.T. ; quant à Dorine, elle est interprétée de manière très originale par une Chri-tine Brotons qui en fait le pivot ingénieux de l’histoire… et de la maisonnée. Il faut encore rendre hommage à leur diction parfaite qui permet d’entendre ces alexandrins comme s’ils avaient été écrits hier…
En un mot, ce Tartuffe 2012 est une vraie réussite, et le public ne s’y trompe pas. La qualité d’écoute dans la salle est un bon baromètre.

Trina Mounier  Les Trois Coups  25 janvier 2012


TARTUFFE 2012 

Cela remonte à ses premières années de metteur en scène. Depuis "Andromaque" il y a plus de quinze ans, Laurent Vercelletto s'était presque exclusivement consacré aux écritures contemporaines et n'avait plus monté de "classique". À voir ce "Tartuffe 2012", on ne peut que le regretter, tant il a réussi magistralement l'exercice (même si son exploration des auteurs du XX' était elle aussi passionnante). Quelques mots sur "Tartuffe", considéré comme l'une des "grandes" comédies de Molière: les éléments de farce y sont discrets, le sujet y est grave et la forme plus recherchée, plus difficile d'accès, le texte est écrit en alexandrins.
Tartuffe toujours d'aujourd'hui
La pièce se déroule dans un huis clos familial où Orgon, riche banquier parisien pourtant peu susceptible de naïveté, a introduit un certain Tartuffe dont il s'est entiché. Or, Tartuffe est un dévot, ou plutôt un faux dévot comme Molière s'empresse prudemment de rectifier, qui va rapidement imposer sa loi dans la maison avec l'active complicité d'Orgon, et surtout un para-site qui va s'ingénier à dépouiller la famille, femme et fille comprises dans le butin. L'intérêt cependant ne tourne pas autour de cette intrigue: pour Molière, il s'agit de régler des comptes avec les dévots qui font régner leur loi sur la vie sociale et sur le théâtre, ainsi que de dénon-cer une fois de plus la tyrannie des pères, les mariages forcés des filles. Pour Laurent Vercel-letto, l'intrigue est même de si peu d'importance qu'il s'autorise à en escamoter la résolution, tout-à-fait artificielle, il faut le reconnaître. C'est, avec les jeux dangereux de Damis au début, la seule liberté qu'il prend avec le texte. Car ce qu'il dénonce, à travers cette histoire vieille de plus de trois siècles, ce n'est pas seulement l'oppression de l'Eglise catholique romaine de l'époque, mais la dangerosité de tous les intégrismes, présents au cœur des trois grandes reli-gions monothéistes. Avec leurs corollaires, l'archaïsme et les violences faites aux femmes. Ainsi présenté « Tarttffe 1202" ressort davantage de la tragédie que de la comédie.
Contre les intégrismes
Cette lecture s'exprime dans un décor signé Charles Rios, dont les rares "objets" témoignent de cette généralisation du propos de Molière. Le chandelier à sept branches fait pendant à la grande croix de bois tandis que Orgon portera la marque des barbus et que la bande-son en-chaîne les musiques, pour la plupart sacrées, Mozart flirtant avec le chant des muezzins. Ce rappel des trois religions est léger, discret, ponctuel et donc n'alourdit pas le propos. Il souli-gne seulement par instants l'actualité du propos de Molière.
La mise en scène fait, comme il se doit, la part belle aux acteurs - Vercelletto en est sans doute avant tout lui-même un -, à leur sensibilité et à leur imagination. Il convient de saluer la magnifique interprétation de Christine Brotons qui incarne une Dorine originale, toute en nuances, plus maternelle et fine mouche que servante forte en gueule. Toute la distribution est excellente, particulièrement Philippe Vincenot en Orgon et les jeunes comédiens issus de l'Ensatt (Alexia Chandon-Piazza, Maud Roulet et Côme Thieulin) qui font ici des débuts prometteurs. On sentait dans la salle, pourtant majoritairement peuplée de jeunes et de scolai-res public très difficile s'il en est - lors de la première, une qualité d'attention à mettre s'il en était besoin au crédit de ce "Tartuffe 2012". 
    Maud Mary Lyon Poche 25 janvier2012