carnet de création

Tartuffe (2012)

les trois jeunes comédiens tout juste sortis de l'Ensatt
Alexia, Côme et Maud
Depuis le premier rendez-vous de la troupe en octobre dernier  jusqu'à la première du spectacle, qui aura lieu le 18 janvier  nous découvrirons ensemble les aspects de la création en devenir.
Plusieurs chroniqueurs; vous feront part de leurs découvertes. sentiments; interrogations.
En fin de compte c'est un petit carnet de création qui aura vu le jour.


Alexia, Côme et Maud

Ces trois jeunes comédiens apportent en effet leur vision du théâtre et de Tartuffe 2012, la pièce présentée en janvier à Chaplin dans le cadre de la résidence de Laurent Vercelletto et dont il font partie de la distribution.

Il y a le “mec cool”, l’intello dilettante un brin torturée et Alexia–vous-allez-encore-dire-que-je-suis-folle. Oui mais Alexia vous venez quand même d’expliquer le transport émotionnel que vous procurent la lecture de magazines scientifiques et la physique quantique. “Pourtant j’y pane rien”, assure celle qui avec Côme Thieulin, 29 ans, et Maud Roulet, 25 printemps, vient de décrocher son diplôme de l’Ensatt (Ecole nationale supérieur des arts et techniques du théâtre). Et joueront du 18 au 27 janvier dans Tartuffe 2012, mis en scène par Laurent Vercelletto. Maud, grande, élancée, longs cheveux noirs, incarne Elmire, la deuxième femme d’Orgon. “Laurent voulait une actrice jeune.” Tout comme pour interpréter Marianne (Alexia Chandon-Piazza) et son frère Damis (Côme). Afin notamment de souligner le manque d’autorité d’Elmire. Rappelons que Damis et Marianne sont les enfants qu’Orgon a eus lors de son premier mariage, et qu’Orgon souhaite forcer Marianne à épouser Tartuffe, le faux dévot. Les jeunes membres de ce trio si complice affichent des parcours contrastés. “A l’école cela ne marchait pas”, sourit Côme, plus porté alors à faire le mariole “pour attirer les regards”. Un premier signe que la comédie est faite pour lui. “C’est la seule chose qui peut me faire lever le matin”. Côme est de ces êtres qui semblent flotter dans la vie, que rien n’atteint, assurés, tant que la bouée empêchant de sombrer est agrippée. Ici le théâtre. Maud, un peu son opposé, lit beaucoup, tout le temps, de tout, fonctionne par phases, en ce moment Duras, a failli devenir journaliste après des études de lettres modernes à la Sorbonne, et a finalement osé muer sa passion pour les planches en métier. Alexia, née à Lyon il y a 23 ans, a quasiment grandi sur scène, membre d’une chorale d’enfants, elle a sillonné le monde à l’âge où certains se tuent la jeunesse à tracer de parfaits dodécagones pour le pointilleux prof de géométrie.

Bain de théâtre

Après un an d’études en Angleterre elle refranchit la Manche, une admiration pour Shakespeare dans son balluchon, et tente tout naturellement le concours d’entrée à l’Ensatt. Décisif point commun chez nos comédiens : l’immense place occupée par les arts dans leur éducation, leur scolarité, au rythme des ateliers de théâtre. Le père de Maud lui a lancé avec humour : “Je n’aurais jamais dû t’emmener voir tant de pièces”. La famille de Côme donnant dans l’intello acharné, si le terme n’était négativement connoté. Transmettre l’amour du spectacle, tel était aussi le souci de la maman d’Alexia qui avait d’ailleurs un curieux métier : concevoir des machines à laver. Bon sang mais c’est bien sûr ! Doux traumatisme d’une enfance à démantibuler les tambours quand les copines promènent innocemment la poussette de leur poupée préférée... De quoi finir abonnée à Sciences et vie.

La mémoire en cauchemar

Si Maud a peu joué de théâtre classique, plus Pinter que Molière, elle avoue tout de même “un gros faible pour Feydeau”. A l’inverse Côme en a-t-il toujours été proche, même si Tartuffe reste une découverte. “Et une belle découverte”, insiste-t-il. Et justement ses alexandrins, cela impressionne ? “J’ai un peu flippé, confirme Alexia, mais Laurent nous a aidés en nous fournissant un texte où les vers étaient parfois enchaînés. L’œuvre devient plus fluide”. Etonnante Alexia qui conçoit le théâtre sans carcans, comme un spectacle vivant total où d’autres disciplines se greffent, où le texte n’est plus obligatoire. Capable de se recroqueviller sur sa chaise, dans son monde, silencieuse, puis de soudainement dresser les bras en l’air, les agiter, pour évoquer ce “théâtre hyper contemporain, hybride, proche d’installations d’art contemporain”, s’enflamme-t-elle.

Quand Maud et Côme notent qu’ils font le même récurrent cauchemar. “Je me retrouve à devoir jouer alors que je ne sais plus mon texte”, se lamente-t-il. “Moi aussi”, lance cette éternelle angoissée qui ne comprendra jamais pourquoi ses petits camarades ne paniquent pas des mois avant la première. Ces deux parisiens mémorisent pourtant assez facilement leurs textes. Quand pour Alexia, qui “déteste apprendre”, la tâche est plus laborieuse. Elle avoue même avoir recours à des stratagèmes personnels et ingénieux : “Je m’enregistre en lisant le texte des autres et laissant du blanc sur mes passages. C’est une façon de me donner la réplique à moi-même”. Derniers maux pour Maud : “Avant de rentrer sur scène, je me demande ce que je fous là”. Rassurez-vous, nous, on le sait très bien...

Stéphane Legras

Pratique : Tartuffe 2012, création en résidence par la Cie LucaThéâtre, du 18 au 27 janvier. Renseignements et réservations au 04 72 04 81 18/19 et www.centrecharliechaplin.com


Tournée, contrats et subventions : vital travail de l’ombre

En parallèle de la construction artistique du Tartuffe 2012 de Laurent Vercelletto, en janvier à Chaplin, Cécile Barthomeuf, administratrice de sa compagnie agit loin des projecteurs. Elle est en charge de tous les aspects administratifs. Ingrat parfois, passionnant souvent, elle accompagne au plus près cette vie de théâtre.

Sans elle, personne ne jouerait les Tartuffe, ne ferait croire à Orgon et aux spectateurs de Chaplin qu’il est le plus scrupuleux des dévots, après avoir mangé léger dans sa loge, lové dans un costume impeccablement ourlé par une artiste de l’aiguille, l’esprit libre de toute contingence administrative. Non que le quotidien d’un acteur, au statut précaire d’intermittent du spectacle, soit un doux rêve éveillé, mais ceux de Tartuffe 2012, présenté du 18 au 27 janvier en centre culturel par le Lucathéâtre, dans le cadre de sa résidence à Vaulx, sont aux petits soins de Cécile Barthomeuf. Magicienne de l’ombre, discrète petite main de la paperasse, l’administratrice de la compagnie fait figure de galérienne consentante des tâches ingrates et rébarbatives. Tout commence par le nerf de la guerre : l’argent. Dès le début du projet, cochon tirelire sous le bras, elle fait le tour des partenaires en quête de subventions.

Le budget de Tartuffe 2012 se monte à 150 000 euros, glanés auprès de la Région, de la Ville, à travers bien sûr le centre Chaplin. “Sans oublier le dispositif Politique de la ville qui nous permet de mettre en place différentes interventions en milieu scolaire”, ajoute Cécile Barthomeuf. Interventions qui devraient se multiplier dans les prochaines semaines, puisque le spectacle cartonne auprès des lycées et que Laurent Vercelletto tient à ce que chaque classe rencontre un membre de l’équipe.

Enumérer toutes les tâches administratives qui lui échoient tient d’un inventaire à la Prévert d’une poésie toute particulière. “Nous employons une vingtaine d’intermittents. Les techniciens et comédiens n’ont pas les mêmes contrats, qui doivent être établis pour chaque période de travail et complétés de multiples documents”, liste Cécile. L’industrie papetière est ravie. Autre affriolante mais incontournable mission : effectuer les versements à l’Urssaf et Pôle emploi, et chaque trimestre payer les charges sociales. “Nous sommes une association, mais fonctionnons comme une petite entreprise. Je veille à ce que nous ne soyons pas dans le rouge et règle les factures”, poursuit Cécile. Qui donne aussi dans la communication, s’assurant que tous les logos nécessaires figurent sur l’affiche et organisant la seconde vie de cette création. “J’ai négocié les contrats avec les cinq théâtres qui vont nous accueillir en 2012, faisant coïncider leurs agendas avec ceux des comédiens et vais tenter de faire venir d’autres programmateurs pour faire connaître notre création”, enchaîne-t-elle.

Pas toujours palpitant mais l’occasion pour cette trentenaire littéraire pur jus de vivre au sein d’une compagnie de théâtre. Présente aux répétitions, elle assiste aux représentations. “Laurent me fait confiance. Quand quelque chose ne va pas il me sollicite”, avoue cette dingue de théâtre et de lecture. Menue, douce, elle se fait alors ferme en affirmant que le théâtre “se joue mais ne se lit pas !”. On la croit ici sur parole. Beaucoup moins lorsqu’il s’agit de lui tirer le portrait. Son sens de la photogénie étant alors discutable. Cela dit sans offense.

Stéphane Legras



Culture : décrypter pour incarner et jouer juste

Les répétitions de Tartuffe 2012 ont maintenant commencé. Un gigantesque travail : mettre à nu plus de deux mille vers de la pièce de Molière. Qui sera présentée par la compagnie de Laurent Vercelletto du 18 au 27 janvier au centre Charlie-Chaplin.


“Allons, Flipote, Allons ; que d’eux je me délivre.” Mercredi 18 janvier, Laurent Vercelletto foule enfin en Madame Pernelle la scène du centre culturel Charlie-Chaplin. Première réplique sur plus de deux mille. La gestuelle et l’intonation, précises, justes, ont été affinées au cours d’un mois et demi de répétitions quotidiennes.

“Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidèles”. Lundi 21 novembre, première répétition, Philippe Vincenot prête sa voix à Orgon qui, aveuglé par sa dévotion pour Tartuffe, explique à sa fille Marianne pourquoi il a décidé d’unir leurs destins. Après cette “lecture à la table”, neuf suivront, dans une salle du cinéma Les Amphis. Tels les peintres, pinceau délicatement glissé entre le pouce et l’index, les comédiens, nourris des indications de Laurent Vercelletto, ébauchent leur personnage à petites touches. “Avant de jouer réellement avec les corps, nous commençons par décrypter le texte”, détaille le metteur en scène. C’est-à-dire le lire et le relire pour incarner au plus juste les personnages créés par Molière sans trahir son propos. “Tiens, essaie comme cela”, lance Laurent. “Pas mal : on gagne en intensité dans le rapport, sans forcer la puissance vocale”. Orgon vient de se faire menaçant. Et Alexia Chandon-Piazza, qui incarne Marianne, cible de l’oukase d’Orgon, son père, tremble déjà. Travail titanesque que de creuser, mettre et remettre chaque vers sur le métier et les rendre cohérents au fil des scènes et des actes. C’est une pièce à monter, et pas des pieds à empiler. Mais à soigneusement articuler. Laurent Vercelletto complète : “Quand on prononce clairement le texte, en suivant le rythme de la ponctuation, leur sens jaillit”. Mais face à cette accumulation vertigineuse de sens, semblant sans fin possible, n’y a–t-il pas le risque de ne jamais s’arrêter, et de ne se fixer sur aucune interprétation ? “Au fil du travail, on synthétise, on abandonne des choses, rassure le metteur en scène. Il est possible que l’on abandonne ce que l’on a construit aujourd’hui”. Nous voilà bien.

Pourtant l’on est captivé, happé par ce qui nous est donné à partager. Privilégiés invités dans l’atelier du peintre, où Tartuffe 2012 s’élabore. Moment magique où le choix de mise en scène tient de l’évidence, s’impose à tous. “J’ai déjà quelques moments clés en tête, ainsi que le déroulé des scènes. L’acte 1 sera normalement joué devant le décor et le 5e acte pourrait se terminer à la lumière d’un chandelier juif”, projette-t-il. On retrouve ici le ciment de son interprétation du texte de Molière : la religion. “Je sais aussi quelles musiques je vais pouvoir utiliser”, ajoute-t-il. Sans oublier que les costumes commencent à arriver, la séance du jour se terminera d’ailleurs par un essayage.

Revenons à ce décodage, pour pénétrer dans l’âme du texte. A Marianne : “Ici c’est un aveu. Elle avoue que toute son enfance elle n’a rien osé dire à son père. C’est ça qui doit te guider”. Et le metteur en scène, tombant d’accord avec les autres comédiens sur une intention d’Orgon lance : “Vois ce que tu peux faire de ça Philippe, on décrypte”. On décrypte, répété comme une antienne par Laurent Vercelletto. Et l’on imagine déjà Philippe Vincenot, repartant de Vaulx, son cahier de texte délicatement glissé dans son cartable, contre les feuillets de Tartuffe griffonnés des indications du jour, avec soigneusement calligraphié cette simple phrase : “En faire quelque chose...”.

Stéphane Legras