entretien avec

Rivesaltes-Fictions

 une clôture de barbelés
Les barbelés du camp
Vous êtes l’auteur du texte Rivesaltes-Fictions / Question suivante.
Comment avez-vous travaillé sur ce texte ?
D’abord je me suis immergé dans les documents : j’ai beaucoup lu, regardé beaucoup de films. De cette immersion, m’est venue l’idée de travailler dans plusieurs directions. D’abord, raconter des histoires sensibles, donner à voir des événements précis, des moments de vie particuliers appartenant aux personnes internées. Ensuite, donner la parole non pas aux internés, témoins directs, mais à des observateurs, à des personnes qui habitaient aux abords du camp. Je voulais éviter de construire un rapport compassionnel entre le spectateur et les personnages. Je voulais que le spectateur puisse se construire sa propre histoire.
Enfin, j’ai écrit à partir du discours politique et médiatique qui concerne le camp de Rivesaltes. Dans la pièce, un personnage de préfet répond régulièrement à des journalistes, dans une sorte de conférence de presse continue, aux différentes périodes de l’histoire du camp. Je voulais travailler sur la façon dont le pouvoir politique justifie l’internement des « indésirables ».
Enfin, j’ai imaginé qu’un personnage traversait toutes ces histoires : le Vent. Sur ce site de Rivesaltes, la tramontane est d’une violence, d’une puissance considérable. La tramontane a rendu extrêmement difficiles les conditions de vie sur le camp pour les internés. Je me suis demandé si le vent avait conservé dans ses tourbillons et ses bourrasques, des bribes d’histoire ou de mémoire. Comme une sorte de grand chiffonnier qui recueillerait et brasserait continuellement les traces.


Vous êtes aussi metteur en scène du spectacle Rivesaltes-Fiction / Question suivante.
Le travail de création débute actuellement. Pouvez-vous nous raconter la façon dont vous imaginez le plateau ?
Je ne veux pas reconstituer un bout du camp de Rivesaltes : le camp dévasté, les ruines, la végétation qui a tout envahi, une baraque. L’idée est de représenter un laboratoire de mémoire. Pas un musée, ni un mémorial, ni un cimetière, mais un lieu où les comédiens essayent de fabriquer une mémoire pendant le temps de la représentation. Ils essayent de bricoler cette mémoire à partir de tout ce qu’ils peuvent récupérer dans le vent, les bruits, les flux d’images. Sur le plateau, il y a aussi des objets très concrets, des morceaux de murs, des planches, des détritus amoncelés. Il y a aussi des images projetées. La cabine de régie est à vue, sur le plateau. Le public sera au plus proche de cet espace de fabrication, pour qu’il soit lui-même actif dans le processus de mémoire.

Les images et la vidéo ont un rôle important dans votre spectacle.
Est ce que vous pouvez nous en dire plus ? 
Marion Lechevallier, comédienne et réalisatrice pour le spectacle, a fait des films sur le site. Ces images parlent de l’aspect présent de Rivesaltes : la ruine, les amas de pierre, la ferraille, la tuile, l’herbe. Mais l’image, pour moi, va au-delà de l’aspect documentaire, elle raconte cet enchevêtrement des histoires qui se sont succédées dans ce camp.


Quels sont les personnages de la pièce et comment apparaissent-ils sur scène ?
Il y a une multitude de personnages. Sans arrêt, cette fabrication de mémoire fait comparaître des témoins. Ces témoins sont convoqués, figurés, cités par deux personnes sur le plateau, qui sont les personnages centraux. Un comédien, que je joue, arpente et raconte, au public et la journaliste, qui toujours vient citer, rappeler le présent. On dit que le souvenir est sonore, qu’il passe beaucoup par la mémoire des voix. Quel travail avez-vous mené sur le son ? La plupart des personnes qui sont passées par Rivesaltes étaient d’origine étrangère.
Dans le vent, on entend leurs voix, des bribes de leurs voix, des phrases en vietnamien, en yiddish, en espagnol, en arabe... On entend la voix d’un chinois interné au centre de rétention dans les années 1990 avant d’être expulsé. Ces voix forment comme un nuage, elles reviennent comme un tapis sonore mêlé au vent, au fur et à mesure des avancées de l’arpenteur de mémoire.


Pourquoi décider de mettre en scène la mémoire de Rivesaltes aujourd’hui ?
Qu’est ce que vous cherchez à produire, à questionner ?
En tant que fabricant de théâtre, je me sens alerté, concerné par l’accueil - ou le traitement ? - des étrangers en France aujourd’hui. Pour moi la logique du camp d’internement raconte beaucoup sur les politiques d’immigration actuelles : le fait de contrôler, de mesurer, de trier. Ma prise de parole, mon positionnement sur ce sujet passent par un acte artistique. Quand on aborde un sujet politique, on pourrait avoir une volonté de convaincre, de faire passer une idée, mais créer théâtralement, c’est mettre à l’épreuve artistiquement ses intentions ou ses idées, c’est peut-être s’exposer plus radicalement que par un discours politique, ensuite c’est à chaque spectateur de construire sa propre réflexion politique à partir de ce qu’il voit. C’est très important pour moi de permettre l’ouverture d’une réflexion propre à chacun.