revue de presse

Karamazov

u_n des frères embrasse  son amoureuse
le baiser comme un brasier

Looking for Karamazov, quand le théâtre mord

« Ils ont appelé leur collectif La Meute et ça leur va bien. La troupe (ici neuf acteurs - metteurs en scène) n’a peur de rien. Surtout pas de s’attaquer à des monstres comme Dostoïevski : une somme même pas théâtrale qu’ils avaient déjà triturée avec Le Grand Inquisiteur. Ils semblent avoir repeint en blanc la salle de l’Elysée uniquement pour le plaisir de la salir. Mais il n’est pas question non plus de tomber dans l’outrance gratuite et simpliste.
Ce théâtre devenu blanc est aussi un temple, une salle vierge où se déroulent tous les combats : celui de la foi contre l’athéisme, de la fidélité contre la trahison.

L’intrigue, aussi féroce soit-elle, est basique et crée un jeu de boomerang où les instincts primaires des uns sont envoyés à la face des autres. La Meute parvient à rendre compréhensible cette saga en accompagnant les découpages de textes de perpétuelles découpes de lumière, de son sur un plateau lui-même aménagé de manière inhabituelle (espace de jeu cerné de spectateurs des quatre côtés).

C’est quand s’installe le récit que le rythme faiblit - notamment avec les personnages féminins - mais jamais bien longtemps jusqu’à un final percutant qui va crescendo. D’entrée de jeu, une heure trente plus tôt, la Meute bousculait déjà : avec un prologue dans le hall du théâtre qui remettait d’emblée le théâtre là où il devrait toujours se trouver, au coeur de son public. »
Nadja Pobel, Le Petit Bulletin


« Looking for Karamazov », spectacle fraternel

« Le spectacle « Looking for Karamazov » commence dans le vestibule de l’Élysée, avant même que les acteurs du collectif La Meute n’envahissent la scène. Ils jaillissent des rangs des spectateurs et simulent une violente algarade entre les frères Karamazov (les héros du  célèbre roman de Dostoïevski) et leur père, passablement imbibé.

On est prévenus : le spectacle sera surprenant et passablement agité. Il se prolonge d’ailleurs sur le même ton dans la salle, sur une scène recouverte de plastique blanc et encadrée par des gradins. C’est l’atmosphère qui convient pour donner chair aux héros de l’écrivain russe, toujours emportés, excités, incapables de modération.

Petit à petit, dans cette lutte qui les jette, tour à tour, les uns contre les autres, on saisit les motivations de chacun, leur drame personnel, ce mal de vivre, cette difficulté à s’aimer et à aimer les autres qu’ils ont en partage. Ce qui les conduit à s’autodétruire, à des actes empreints de folie. Durant plus d’une heure quarante, on est happés par cette atmosphère étrange et brutale qui ne peut laisser personne indifférent. Et l’on en ressort impressionnés par la puissance qui se dégage des personnages, interprétés avec la fougue et l’impressionnante énergie avec laquelle cette troupe de jeunes acteurs s’empare de leur rôle. »
Nicolas Blondeau
samedi 12 mai 2012 - Le Progrès




    Une force dostoïevskienne

    Le billet d’entrée est à peine empoché que l’on se trouve déjà emporté, témoin pris à partie d’une altercation entre Fiodor Pavlovitsh Karamazov, incarné par Pierre Germain (mémorable dans la Grammaire des mammifères) et ses fils. Ce personnage obscène et foutraque se prosterne de manière blasphématoire et impudique devant un individu recouvert d’un sac poubelle, arborant un crucifix en bois.
    Déjà présente, la dimension critique s’attaque à la question du religieux de manière cinglante. Mêlés aux spectateurs ou apparaissant de façon inattendue (on retient l’entrée fracassante de Dimitri en scooter), les comédiens se détachent peu à peu du public et alimentent la dispute. Ce prologue d’une dizaine de minutes, pour le moins énergique, donne le ton à la pièce. C’est également l’occasion de faire connaissance avec les principaux protagonistes et de se familiariser avec l’intrigue. Le moment vient alors d’entrer dans la salle.
    Rompre la distance entre la scène et la salle.
    Au sein d’un dispositif scénique central, ils sont au nombre de neuf comédiens, là encore dispersés dans le public, affirmant comme dans la séquence précédente, le parti pris scénographique de rompre la distance existant entre la scène et la salle.
    Au milieu du sol recouvert d’une bâche en plastique, des extraits du texte inscrits au marqueur font écho aux propos des comédiens. Ingénieux, le dispositif lumineux tamisé ou diffus, met en avant, selon les moments, certains personnages.
    De même, l’éclairage choisi pour illuminer l’icône au mur rappelle des meurtrières de château ou d’étroites ouvertures d’édifices religieux. L’univers sonore diffusé via un vieux poste de radio, ou encore les crissements lancinants et les rythmes hypnotiques participent à la tonalité dramatique de l’intrigue.

    L’ambiance de la pièce est fidèle à la dimension passionnelle qui traverse le texte de Fédor Dostoïevski : celle d’un polar à l’odeur acide du scandale, sillonnée d’envies de crime et de jalousies, de désir de parricide et de trahison, de châtiments et d’argent.
    Par-delà les différentes personnalités des frères Karamazov, c’est une même fougue rageuse qui s’exprime ici clairement. Dimitri, l’impulsif versatile ; Smerdiakov, le bâtard ; Ivan, le taiseux ou Alexeï, le dévot, semblent taillés de ce même bois. Même la foi, qui figure parmi les thèmes forts de l’oeuvre n’y résistera pas.
    Par ailleurs, la difficulté de ce texte réside dans son intrigue complexe. Mais ce défi est plutôt brillamment relevé par la qualité d’un jeu, qui au-delà de quelques longueurs, reste haletant. Néanmoins, ce caractère vif est parfois affaibli, notamment par le jeu de certains personnages féminins.
    Avec Looking for Karamazov, Florian Bardet et Nicolas Mollard signent pour la seconde étape de leur chantier-recherche, un spectacle sincère et puissant, qui résonne déjà comme un hommage à la force de l’oeuvre de Fédor Dostoïevsky.
    Élise Ternat Les Trois Coups
    Mercredi 9 mai 2012