Extrait du texte

Sur le tour

victoire  l'arrivée
à l'arrivée !
Petit extrait de la partie (54)

54/35
Georges ne dit plus rien que les écarts, Et encore, au compte-gouttes.
Il a compris que je suis concentré, Concentré dans l’effort…
Tiens, penser à Dunkerque, au carnaval, à ce dimanche de février où tout est permis,
penser au moment où l'on quitte les parents dans la petite maison en brique de Coudekerque-Branche, ces parents qui vous ont fait à manger comme un dimanche  et qui vont aller faire une petite sieste
- ces amusements ne sont plus de leur âge -, et quand on part en bande, avec les frères et les sœurs,  déguisés comme des travelos du bois de Boulogne, tous ces types déguisés en filles,
et que c'est parti pour toute une journée de démence, de douceur et de chants, où tout le monde connaît tout le monde, où chacun salue son cousin, où l'on se tripote à tout va,
serrés et exsangues comme ces harengs, ces kippers qu'on tente d'attraper quand le maire
(Les cocus au balcon !) les jette dans la foule, et ces chants 
- Chantal! t'as mis ton doigt dans mon trou d'balle -,  oui, tous ces chants, tous ces hymnes à vingt balles,  au moins cinquante chants et tout le monde les connaît,
une ville entière hurle en chœur, une ville entièrement déguisée, d'année en année les oripeaux deviennent sublimes  et chacun félicite l'autre de la beauté,  de la noblesse, de la réussite de son déguisement,  et on boit, et on chante, et on papote, et on s'embrasse, et on reboit,  et la pluie ou la sueur qui fait dégouliner les maquillages,  et les gros bras du premier rang, sous les parapluies de couleur,  qui bloquent la foule pour que la fanfare ne se fasse pas aplatir,
car derrière ça charge, ça pousse, ça crie, c’est un peu comme le peloton quand il s’énerve,
sauf que pour l’instant,  le peloton derrière, il roupille et moi je roule, un vrai boulevard, le vent dans le dos.
Georges vient de me gueuler : quatre minutes quinze !
C’est inouï comme sensation, comme si j’avais un moteur.
Les tours de pédales comme dans du beurre.
Je n’avais jamais encore vécu ça. Et je roule, Lilian Fauger, son premier Tour de France d'abord,  et puis un des rescapés de l'équipe Wor.
Il n'en reste plus que trois, les trois survivants : Lilian Fauger, Alguimantas Kilpis et Fons Demoens,  les autres à la casse, perdus en route.
Drôle d'équipe que cette équipe Wor !
- Je ne vous le fais pas dire, mon cher, une drôle d'équipe.
- Courageuse, oui, courageuse, je ne vous le fais pas dire.
- Déjà marquée dès le prologue par la chute de Pierrot Favard.
- En effet, mon cher, on a beaucoup parlé de celle de Boardman et pas beaucoup de celle de Favard.
- Une équipe qui débutait sous le signe de la malchance, mais une équipe courageuse quand même.
- Je ne vous le fais pas dire, mon cher, courageuse,  Lilian Fauger en est la preuve aujourd'hui.
D'ailleurs son avance augmente.
- Il faut dire, mon cher, que c'est le grrrrand Georges Matord le direc-teur sportif.
- C'est vrai et il est vrai que, derrière, ça musarde un peu.
Je coupe la radio, faut pas que je musarde aussi, moi.
Je fonce entre les sapins et les pins.
Les Landes, les Landes,
La science de la ligne droite.
C’est terrible la ligne droite.