Cordes : la création originale

Royaume-Uni + Partitions



Note d’intention du chorégraphe


L’enjeu est en tout premier lieu humain, car il s’agit bien de mettre en scène les musiciens dans leurs propres rôles en les interrogeant sur la valeur, le sens qu’ils accordent à leur métier. D’une manière ludique c’est commencer par exemple à répertorier les rituels de l’orchestre, dans ce temps de préparation, de concentration, observer pour mieux détourner les comportements de chacun. Créer les situations qui les contraignent à se mettre en vie, ces situations qui transposent leur quotidien en sacré. Mon souhait est d’amener les danseurs à partager leur territoire en invitant ces corps « autres » à trouver leurs places sur cette immensité. Pousser la confrontation dans un espace généreux, en construction. Mon désir est en fait de mettre en lumière leur complicité, leur attirance. L’enjeu est artistique puisqu’il s’agit d’appréhender les parallèles présentes entre l’écriture musicale et l‘écriture chorégraphique, dans toutes les dimensions, de la feuille à l’archer, du verbe au geste. C ‘est mettre en valeur les finesses et les difficultés de l’apprentissage, de la technique et de l’interprétation. C’est permettre à chaque corps de métier de venir se nourrir de la singularité de l’autre, de se fondre dans la musicalité du geste (travail auprès du chef et des musiciens mais aussi travail des musiciens en direction du mouvement). C’est s’emparer de la notion de tension. Celle des cordes, des corps, des relations, de l’enjeu du moment. Le réajustement permanent des tensions musculaires jusqu’au lâcher prise qui permet d’œuvrer à la justesse d’un instant, celui d’un son, celui d’un geste, celui d’un regard. Ce projet est aussi la chance de venir malmener l’espace scénique ; de nous maintenir en alerte en jouant avec les variations d’échelle des volumes, à l’extrême.
Et puis, mon envie est enfin de mettre en lumière la force et la beauté des œuvres musicales choisies. Chorégraphier la générosité et la puissance du concerto en ré de Stravinsky, l’intimité et la tension de la Sonate pour violon seul d’Eugène Ysaïe, la tension dramatique de l’éloignement de Qigang Chen…

Argument artistique


J'aspire à l'image des musiciens de l'orchestre qui s'accordent dans la fosse, entre eux, en présence du public complice qui s'installe dans les fauteuils, orchestrer la mise en tension, les derniers instants précédents, le commencement. Les ajustements de la régie orchestre aux gestes précis, chorégraphiés, inquiétants. Les entrées sur le plateau des musiciens, installations utiles, arrivées singulières et personnelles. L'action d'un technicien dans un ultime réglage. La concentration appliquée, mise en condition des danseurs. Le rituel d'entrée du chef. Le point d'union est à trouver ensemble, progressivement, à la hauteur de l'attente de ce public faisant face, afin de l'inviter à devenir interlocuteur. Le son des cordes peut alors provoquer la confrontation, de l'instrument et du corps, du musicien à celui du danseur... Il s'agit d'éprouver le plaisir d'être ensemble sur scène, puissants, dans la jouissance de l'espace qui se gagne, des corps qui se déploient. Il s'agit de se donner mutuellement le vertige, heurter, porter, traverser... Laisser un danseur face aux cordes, un violon pour la horde des danseurs, un lien unissant ces 32 personnalités. Enfin, croire finir avec l'éloignement, mais devoir prendre à bras le corps l'achèvement de la pièce, tendre, jouer de la résistance jusqu'à l'arrachement ou choisir, détendre sereinement, sans se résigner, accepter de céder. Achever jusqu'à démonter. Sans rupture, charger les perches, « dépleuguer » les projecteurs, collecter les élingues, laisser le plateau en chantier. Une dernière danse pour chaque départ, la solitude d'un violon.