de la scénographie

Désarmés

vue du dessus de l'espace scénique
l'espace scénique vue de dessus
l'espace scénique vu de l'intérieur
l'espace intérieur
© Alain Lamarche


Au cœur du monde, bat et combat l’intime…

Notes sur la scénographie de Désarmés

Sébastien Joanniez et moi, nous avions lu en public Désarmés, entre autres, au Festival Textes en l’air de Saint-Antoine l’Abbaye, en extérieur, un après-midi de fin juillet. Le vent de la veille s’était un peu calmé, le ciel était maussade, et nous avions installé le public à l’abri, sous un arbre centenaire. À peine avais-je ouvert le livre, et la bouche, il s’était mis à pleuvoir. Assez peu, somme toute - je me souviens quand même qu’il me fallait régulièrement, d’un geste de la main, balayer les grosses gouttes sur les pages… Le déluge qui couvait avait patienté, et finit par éclater juste après les applaudissements.
S’était confirmée là une certitude : impossible de jouer ce texte en frontal et dans la boîte noire traditionnelle du théâtre !
En découvrant un peu plus tard la scénographie créée pour l’un de ses spectacles par la compagnie amie de l’Abreuvoir (Clermont-Ferrand), j’ai su aussitôt que c’était l’espace qu’il conviendrait de me réapproprier pour Désarmés.


Un espace de dépaysement

Parce qu’accueillir le public à l’intérieur de ce cylindre tendu de toiles blanches, c’est d’abord lui permettre de quitter ses repères habituels, le déconditionner, et l’inviter à une expérience sensible inédite.
Celle de se retrouver au plus près des acteurs, pour assister « en direct », comme me le dira une spectatrice, à « l’événement ». (Quand je lui demanderai lequel, elle répondra « l’amour »… !).
Un bi-frontal qui, à la fois, annule et fait vivre les distances
L’espace de jeu, une longue estrade qui partage diamétralement le public en deux, s’il place le spectateur tout contre les acteurs, biaise aussi son regard.
Il donne du champ au jeu des acteurs, permet la tension de la parole et des corps en vis-à-vis, fait vivre tout l’espace du face-à-face. Et demande, à chaque instant, à celui qui regarde de regarder de tous ses yeux pour tenter d’embrasser ensemble champ et contre-champ. L’image, comme la situation, excède et échappe. Chacun, du coup, est rendu à la singularité de son « point de vue ».


La lumière du paysage

S’il élargit la vision latérale, le dispositif travaille aussi sur la profondeur. Car, sur ces toiles blanches qui clôturent l’espace et nous réunissent, sont projetées par moments des images vidéo. Très simples, très lentes, elles n’ont d’autre fonction que de replacer l’action dans la lumière d’un paysage plus imaginaire, ou onirique, que bien réel.
Et d’ouvrir ainsi, dans la réception du spectateur, un espace-temps à la fois étrange et familier, propice à la sensation de l’instant, à la contemplation, à la rêverie.


L’intime et l’universel

Sur certaines de ces images, très élémentaires, au sens premier du terme, de feuillages, d’herbes, de pierres, d’eau… qui ouvrent l’horizon et nimbent l’instant de lumière, surgissent par moments d’autres présences. D’autres spectateurs (filmés lors de répétitions publiques) viennent alors démultiplier le cercle du public rassemblé.
C’est que la parole échangée entre les deux amants, en même temps qu’elle les engage, engage, à leurs côtés ou contre eux, le monde.
Le combat que chacun des deux mène contre lui-même, dans l’intime, pour ouvrir à l’amour nous prend, chacun et ensemble, à témoin et nous met au défi de comprendre et de nous engager à notre tour.
Gislaine Drahy