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Mamani Keita

Mamani Keita
Mamani Keita © Emma Pick
Mamani Keita chante sur France3 dans  Ce soir  ou jamais l'emission de Fréderic Taddei   ( voir bas de page)


Au Mali la tradition interdit à ceux qui portent le nom royal de Keita de chanter ou de jouer d’un instrument. Heureusement, il y a des exceptions. Mamani Keita en est une qui, d’ancienne choriste d’un autre Keita en rupture de caste (Salif), est en passe de devenir l’une des principales ambassadrices de la modernité musicale africaine. Gagner l’Argent Français son troisième album est le plus rock, le plus électrique à ce jour. Celui où elle prend le plus de risques. Il révèle intégralement une personnalité forte, passionnée, insoumise, une voix rebelle dont la part mandingue se débride au contact d’un univers sonore aussi inventif qu’hétéroclite conçu par le guitariste Nicolas Repac, connu pour sa collaboration au long cours avec Arthur H.

Mamani Assitan Keita est née à Bamako. Elle n’a pas connu son père et perdra sa mère à l’âge de 13 ans. Sa grand-mère maternelle, Babinesitan Traoré, qui l’a élevée, fut la première à remarquer ses talents alors que la fillette chantonnait en allant chercher de l’eau au puits. L’aïeule aurait dit alors : « Celle là, elle va faire sa vie dans l’aventure ». Aussitôt Mamani la prend au mot et s’inscrit à la Biennale artistique annuelle où concourent troupes de danse et ensembles musicaux représentant les différents quartiers de la ville. Lauréate du prix de la meilleure soliste de la commune de Bamako, elle est engagée comme choriste au sein du Badema National, prestigieuse formation où figure Kassémady Diabaté, voix parmi les plus pures d’Afrique de l’Ouest.

Puis c’est Salif Keita qui la remarque et l’embarque avec lui à Paris à la fin des années 80. Elle a 17 ans, n’a jamais été à l’école, ne parle pas un mot de français. Pendant 7 ans, elle ne dispose d’aucun papier et vit sur le qui vive. Le moindre bruit derrière la porte l’inquiète. De peur d’un contrôle, son cœur s’accélère à chaque coude que fait un couloir du métro. Pourtant l’instinct de survie et l’ambition sont les plus forts. La naissance de sa fille, qu’elle élève seule, ajoute un impératif à la nécessité de s’en sortir. Se faisant elle collabore à plusieurs projets fusionnels dont un avec le groupe Tama. Sa rencontre avec le musicien rock Marc Minelli lui fait alors franchir un pas décisif. En sa compagnie, elle enregistre l’album Electro Bamako où, autodidacte transgressive, elle dispose de sa langue maternelle, le bambara, et de son héritage mandingue comme elle l’entend. Aussi ingénue que déterminée, elle se prête sans réticence à l’habillage jazz ou à la mise electro de chansons qui conservent toutefois leur essence africaine.

En 2006 c’est avec la même insouciance, le même culot qu’elle se glisse dans les arrangements sur mesure de Nicolas Repac. Ce sera Yelema, son second disque, le premier pour le label No Format où s’interpénètrent instruments traditionnels et programmations. Reflet d’une identité devenue composite, la chanteuse y laisse s’exprimer un cœur de femme africaine, amoureux, en colère, ému par le sort des orphelins, vaillant face à l’adversité. A propos de sa voix, Nicolas Repac dit qu’elle exprime « une douceur taillée dans le roc ». Mais ajoute ignorer toujours si cette voix appartient « à une gamine de 16 ans ou à une femme de 80 ».

Cette ambiguïté, cette dimension à la fois ancestrale et juvénile en fascine plus d’un ou plus d’une. Comme l’Américaine Dee Dee Bridegwater qui l’invite en 2007 à participer à l’album Red Earth (A Malian Journey) puis l’emmène partout dans le monde pour une longue tournée. Au gré des moments creux de ce périple, Mamani conçoit les chansons de Gagner l’Argent Français que va finaliser avec elle le guitariste Djeli Moussa Kouyaté. Les titres faisant ensuite l’objet d’un minutieux montage sonore où s’exerce l’imagination poétique de Nicolas Repac. Certains présentent une assise rock (Sinikan, Gagner l’Argent Français) avec tapis de guitares et rythmique binaire. D’autres nous font pénétrer dans la ronde hypnotique du dub ( Massigui) ou la percutante paraphrase de l’ afro beat (Konia). Les instruments traditionnels mandingues- ngoni, kora, monocorde- viennent à la rencontre de samples et de programmations mondialisées- clarinette klezmer, luth chinois, cordes classiques.


Au final ce pourrait être un de ces jardins exotiques où les magnolias font de l’ombre aux fougères, où le cactus emmerde le rhododendron, où la confusion règne. Ce n’est qu’harmonie, respect et aventure avec des perspectives qui se déplacent à mesure que les morceaux progressent, des ponts suspendus qui font passer d’un monde à l’autre sans à coups, de la savane à une merveilleuse brocante de sons, d’un chant de village à une vieille rengaine années 30. C’est dans cet environnement étonnant, audacieux, libre de toute orthodoxie, mais pourtant très cohérent que Mamani Keita affirme fièrement, farouchement, une indépendance qu’elle a chèrement acquise. Qu’elle parle de sa vie, de ses déboires, de ses victoires, qu’elle distribue les sagesses comme l’aïeule et les romances comme la jeune fille allant cherchant l’eau du puits.


F. Dordor

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