extraits de la sagouine

La sagouine

Fière et debout malgré tout

Ils m’appelont la Sagouine, ouais. Et je pense, ma grand foi, que si ma défunte mère vivait, a’pourrait pus se souvenir de mon nom de baptême, yelle non plus. Pourtant j’en ai un. Ils m’avont portée sus les fonds, moi itou, coume je suis là. J’avais même une porteuse, t’as qu’à ouère, une marraine pis un parrain. Même de la parenté, que mon pére contait. Ondoyée, baptisée, emmaillotée, j’ai passé par tout la sarémonie avant d’aouère les yeux rouverts. C’est pour dire, hein ? Je sons tout du monde pareil, à c’t âge-là. C’est pus tard que…
 

 

Philosophe

Après toute, y en a des pires que nous autres. Je l’ai tout le temps dit : quand c’est que t’es portée à te plaindre, la Sagouine, regarde autour de toi ; tu t’aparcevras que la vie est malaisée pour tout le monde, et qu’y en a tout le temps des plusse mal pris que toi…
 

Optimiste

Les mauvais temps, ça finit tout le temps par passer… La meilleure chose, c’est de farmer les yeux et d’espèrer que les temps veniont bons.
 

Lucide

C’est tchurieux que je sons tout le temps les darniers sarvis pour tout le reste, mais pour les fièvres et les poux, ah ! ça… Je l’ai dit à Gapi : saye malade riche pis saye malade pauvre, c’est point la même maladie.
 

La boune ânnée

Hé oui !... Ca été une ben boune ânnée. Point de roulis de neige, point de morts subites, point d’esclopés, point de poumons-au-vif, point d’eau dans la cave.. Et pis des coques ben gras, et pis des noces, et pis des aléctions (élections)… parce que le gouvarnement a plusse d’argent que d’accoutume en ce temps-là.
 

La guerre, la dépression

Par chance, y a eu la guerre… Parce qu’ils avont pas arrêté de nous envoyer nos chèques tout le temps que nos houmes avont été de l’autre bôrd. Et les femmes des soldars qui sont pas revenus avont continué de receouère leux chèques de veuves…

Ben oui, durant la dépression, les temps sont venus assez mauvais qu’une parsoune pouvait point descendre pus bas. Ben quand c’est que t’es bas assez, là ils se décidont de faire queque chouse pour pas te laisser corver. Durant la dépression, par exemple, ils avont inventé la soupe.
 

Le printemps

Ah ! ben, regardez-moi ça à matin ! Viens ouère, Gapi ! Y a pas moins de dix régiments d’outardes dans le ciel à matin. Ah ça fait bon coeur de se remplir les pommons d’air fraîche de bon matin. Je devons être pas loin du mois d’avri’.


Le recensement

Ah ! c’était une grousse affaire, pornez-en ma parole qu’a jamais menti.

Pis ils te questiounont. Des fois c’est malaisé à répondre : ton nom, tous tes noms de baptême, ton pére, ta mére, ta darniére maladie, quand c’est que t’as eu t’es âges, tes enfants morts, tes enfants encore en vie…

Où c’est que je vivons, nous autres ? … En Acadie, c’est point un pays qu’ils nous avont dit. Ah ! c’est malaisé de faire ta vie quand c’est que t’as pas même un pays à toi. Tu te sens coume si t’étais de trop…