Cécile main sur le coeur est barbue...
représentation d'un barbu
Aristophane est le plus célèbre des auteurs comiques grecs. Il vécut à Athènes au Vème avant JC et commença donc à écrire dans un climat exceptionnel de paix, où la liberté d’expression pouvait s’exprimer sans restriction. Il écrivit sans doute une quarantaine de comédies : seules onze pièces nous sont parvenues.

Les Ekklésiazouzes : (littéralement, celles qui siègent à l’assemblée) est un pamphlet politique qui dénonce les dysfonctionnements de la démocratie athénienne : corruption, dérives politiques populistes, désintérêt général pour le bien commun, incivisme confus…

Pratiquer le théâtre comme un acte de débat et d’audace politique, c’est à cela que nous invitent encore aujourd’hui les comédies d’Aristophane.*

Extraits


Les Ekklésiazouses / Aristophane 

Praxagora. Si nous pouvions prendre en main les affaires de l’Etat, de façon à leur donner une impulsion salutaire ? C’est un gros coup à tenter : tentons-le !
Première femme : Quoi, un essaim de femmes au coeur frêle, parler au peuple ? Et comment feront-elles ? L’inexpérience est un terrible écueil !
Praxagora : Mais justement ! Si nous nous sommes réunies ici, c’est exprès pour répéter le rôle que nous aurons à tenir là-bas ! Tu ne ferais que bien de te dépêcher : équipe-toi de ta barbe, toi et toutes celles qui sont parées à jacasser !
deuxième femme : Jacasser ? Mais laquelle de nous ne s’y entend, mon coco ?
Praxagora : Eh bien, équipe-toi et sois un homme vite ! (…)
Praxagora : Avec votre permission, je décide, que c’est moi-même qui mettrai la couronne et qui par¬lerai. (Prenant le ton d’un discours solennel) Je prie les dieux d’accorder à nos délibérations des suites salutaires ! Moi, qui ai place à part entière, tout comme vous dans la communauté de ce pays, je suis ulcéré, accablé de notre conduite politique ! Elle est gangrenée. Je constate qu’elle donne des leviers de commandes à des malfaisants. S’il y en a un qui se comporte bien pendant un jour, pendant dix jours, il entasse les méfaits. On passe les responsabilités à un autre, il fera encore bien pire ! Ah ce n’est pas simple de ne gouverner des hommes aussi difficiles à contenter que vous ! Ceux qui sont pleins de bon vouloir à votre égard, vous vous en méfiez, et ceux qui ne vous veulent pas de bien, à tout coup, vous êtes à leurs genoux ! (…)Et de tout ça, c’est vous autres, peuple d’Athènes, qui êtes responsable. Vous n’avez d’yeux que pour votre profit particulier, et l’Etat, lui, il chaloupe comme un chien boiteux. Mais si vous m’en croyez, vous vous en tirerez encore : c’est aux mains des femmes, vous m’entendez, qu’il faut confier l’Etat. Après tout, c’est bien à elles que nous donnons l’emploi, dans nos ménages, d’avoir la haute main sur la gestion !
deuxième femme: Bravo, ma belle !
Praxagora : Malheureuse, tu as crié « ma belle ». Tu aurais fait du joli si tu avais dit ça à l’assemblée !

King-Kong Théorie / Virginie Despentes 

Il y a des hommes plutôt faits pour la cueillette, la décoration d’intérieur et les enfants au parc, et des femmes bâties pour aller trépaner le mammouth, faire du bruit et des embuscades. C’est chacun son terrain. (…) Question d’attitude, de courage, d’insou¬mission. Il y a une forme de force, qui n’est ni mas¬culine, ni féminine, qui impressionne, affole, rassure. Une faculté de dire non, d’imposer ses vues, de ne pas se dérober. Je m’en tape que le héros porte une jupe et des gros nibards ou qu’il bande comme un cerf et fume le cigare (…)

Si nous n’allons pas vers cet inconnu qu’est la révo¬lution des genres, nous connaissons exactement ce vers quoi nous régressons. Un Etat tout puissant qui nous infantilise, intervient dans toutes nos décisions, pour notre propre bien, qui – sous prétexte de mieux nous protéger – nous maintient dans l’enfance, l’ignorance, la peur de la sanction, l’exclusion. Le traitement de faveur qui jusqu’alors était réservé aux femmes, avec la honte comme outil de pointe pour les tenir dans l’isolement, la passivité, l’immobilisme pourrait s’étendre à tous. Comprendre les méca¬nismes de notre infériorisation, et comment nous sommes amenés à en être les meilleurs vigiles, c’est comprendre les mécanismes de contrôle de toute la population. Le capitalisme est une religion égali¬taire, en ce sens qu’elle nous soumet tous, et amène chacun à se sentir piéger, comme le sont toutes les femmes.