Lyon Figaro  14 mars 2002

Le mot juste, jusqu'à la folie

Petite forme en grande forme aux Célestins.

Sur le plateau flanqué d'un proscenium gazonné, deux personnages, maître et serviteur, traquent le mot juste. Avec conviction et passion maniaque. Il apparaît assez vite que le maître est un peu frappé, ... que le serviteur l'est tout autant, sinon plus. Beaucoup plus.
Carnet en main, il note fébrilement les mots et les phrases que profère son compagnon de plein air. Dans ce jeu, joute verbale, aiguë, vive, qui contient toute la pièce, les protagonistes s'affrontent à mot nu.

Les deux comédiens sont excellents. Vincent Bady, le maître, lent, lourd, silhouette massive, image du pouvoir, mais un pouvoir qui s'essouffle, une autorité qui vacille.
Roland Depauw, le serviteur déférent, obséquieux, qui joue celui qui est à sa place, celle de valet. Celui qui attend, répond, suggère, ne prend pas de décision, ou alors, demande la permission d'oser. Mais dont tout le jeu est de remettre en question, peu à peu, la distribution des rôles. De prendre, au final, le pouvoir. De renverser le maître. L'évolution des rapports entre les deux hommes progresse dans la plus grande subtilité, avant de basculer brutalement. Faisant tomber brutalement la comédie dans la tragédie.

Comme un couronnement de sa logique, la folie, la déraison courent tout au long de ce texte.
Un texte intelligent, drôle, littérairement de qualité. La langue en est recherchée, le style virtuosement maîtrisé, jusque dans ses licences qui ne sont, là encore, que recherche toujours plus poussée de l’extrême justesse d'expression. Passion, plaisir, angoisse du langage. Vertige des mots, du raisonnement qu'ils construisent, qu'ils élèvent et laissent en panne si un seul d'eux manque tout d'un coup à dire, à cerner...Fragilité.

Laurent Vercelletto, qui met en scène et dirige les acteurs, a, de manière burlesque (hommage à Winnie ?) matérialisé la béance du langage par un trou dans le gazon au bord duquel le maître est assis. Le serviteur agité, précis, vibrionne autour. Des clowns métaphysiques ?
Non. Plutôt des linguistes fous...

Nelly Gabriel   

LE POINT 6 mai 2004

Un dialogue philosophique entre un maître et son valet. On se précipite à la sortie sur le texte aussi brillant qu’étonnant de ce jeune auteur de 60 ans, Jean-Claude Hauvuy. Mise en scène réussie de Laurent Vercelletto, avec Roland Depauw et Vincent Bady
 


LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
juin 2002 - LE THEATRE par Hédi Kaddour


... s'obstinent, persévèrent, s'enferrent. (1)

Le titre de la pièce donne le sentiment qu'on a raté le début: ...s'obstinent, persévèrent, s'enferrent, il y manque les sujets. On les découvre sur scène: un maître et un valet. Une scène sans décor (ou presque). Cela s'est fait cent fois depuis le début des années cinquante. Aujourd'hui on se demande si les directeurs de théâtre aiment ces spectacles parce qu'ils témoignent d'une vraie pensée sur la condition humaine ou bien si c'est parce que deux acteurs reviennent toujours moins cher qu'une vraie troupe.
Autant dire qu'on n'abordait pas la représentation avec un préjugé particulièrement favorable, et que ce fut une belle surprise...
.../...
La fin sera à sa façon pleine d'allégresse, élan vers le pire et fête de I'ironie, dans une langue et un rythme qu'on a rarement entendus ces dernières années dans les «créations» contemporaines, une belle langue de dentales et d'explosives, à mots brefs, à phrases hachées, bousculées, resserrées, libérées et fouettées.
Hauvuy sait que la pensée au théâtre ne passe pas par la complexité des mots et des sentences mais par la vigueur du montage, et il y a plus de vraie pensée dans la façon dont il fait sortir, revenir, parler, rêver, s'exciter, répéter, bondir ou méditer ses personnages sur un rythme qui ne faiblit jamais que dans bien "tartines" d'Olivier Py et consorts.

Un texte inconnu, un comité de lecture qui fait son travail, un théâtre municipal qui fait le sien, un beau spectacle. Aux Célestins de Lyon. On espère qu'il pourra circuler.