Europe par Matisse
Europe par Matisse

« ... Déposant le sceptre qui charge sa main, Jupiter, le père et le maître des dieux, revêt l’aspect d’un taureau, mugit et, dans l’herbe tendre, promène sa beauté. Sa robe est, en effet, de la couleur de la neige qu’aucun pied dur n’a encore foulée. Sur son cou, font saillie les muscles ; son fanon pend jusqu’aux épaules, ses cornes sont petites, il est vrai, mais telles qu’on les pourrait prétendre faites de mains d’homme, et plus diaphanes qu’une gemme d’eau pure. Rien de menaçant sur son front, de terrifiant dans son regard : tous ses traits respirent la paix. Europe, l’admire d’être si beau, de ne donner aucun signe d’humeur menaçante et combative ; mais malgré cette douceur, elle n’osa pas d’abord le toucher. Bientôt, elle s’approche et tend des fleurs au mufle blanc. Le dieu amoureux est tout joyeux et, en attendant la volupté qu’il espère, il couvre ses mains de baisers. Il a peine maintenant, il a peine à différer le reste. Et tantôt il folâtre et bondit dans l’herbe verte, tantôt il couche son flanc de neige sur le sable fauve ; et peu à peu, toute crainte disparue, il offre, tantôt son poitrail aux caresses de la main virginale, tantôt ses cornes aux chaînes de guirlandes de fleurs fraîches. La vierge, fille de roi, osa même, sans savoir sur quel dos elle se posait, s’asseoir sur l’échine du taureau. Alors le dieu, quittant insensiblement la terre et le rivage sec, effleure perfidement des pieds l’eau du bord, puis de là avance plus loin et emporte sa proie en pleine mer. Prise de peur, la jeune fille regarde derrière elle le rivage qu’elle quitte ; de sa main droite, elle se tient à une corne, de l’autre elle s’appuie sur la croupe ; la brise fait onduler ses vêtements frissonnants. »

Ovide, Les Métamorphoses, II. 850-875