avec l'aimable autorisation de Blue Note

« Je travaille le piano tous les jours, car je n’ai pas renoncé à rivaliser avec Keith Jarrett et Brad Mehldau. »
Ce n’est pas pour demain, mais elle approche du but. À Montréal, elle a commencé son récital par un long solo de piano qui introduisait à un blues sur un tempo moyen idéal pour que ça balance : 90 à la noire. Elle laissait ensuite de longs solos à ses musiciens (Michael Arnopol, contrebasse, Neal Alger, guitare, Nate Smith, batterie). On ne pouvait mieux indiquer d’entrée de jeu qu’on aurait affaire à Patricia Barber pianiste au moins autant qu’à la chanteuse. Et son concert, en effet, a également mis en lumière ses deux talents. Sur la bossa nova lente Tristeza, qu’elle susurre avec une voix d’amante, une voix d’aube, elle finit en chantant seule, sans accords au piano, simplement en marquant le tempo dans ses mains. Elle a de l’allure, cette dame, malgré une permanente qui lui boucle un peu trop les cheveux. De temps en temps, elle pousse un râle de plaisir quand la phrase d’un de ses musiciens la surprend et la ravit.
Son dernier disque rend hommage à Cole Porter par des interprétations de ses chansons et aussi par des chansons écrites par elle dans le goût de Cole Porter. Ainsi, à Get out of town, succède une chanson-poème d’elle, Snow, qui est une longue et majestueuse caresse donnée à la musique. À la surprise des amateurs de jazz, elle joue un morceau de Lennie Tristano dont je ne me rappelle pas le titre mais qui est bâti sur la grille d’I’ve found a new baby, sur un tempo vif.
En piano solo, elle explore les possibilités laissées après Bill Evans par Someday my prince will come. Suit encore un instrumental puis, en duo avec le guitariste, le C’est magnifique de Cole Porter. En conclusion, elle livre sa propre chanson I’m the daughter of Zeus, qui a une sorte de grandeur. L’impression finalement domine qu’avec Patricia Barber on a affaire à une chanteuse et à une musicienne exigeante, qui se fait une haute idée de son propre art et y atteint à force de dévouement autant que de talent naturel.

Apothéose dans la discrétion avec le duo de Houston Person et Bill Charlap. Le duo saxophoniste ténor et pianiste a ses lettres de noblesse : Ben Webster/Art Tatum, Stan Getz/Kenny Barron, plus récemment Joe Lovano/Hank Jones. Il faut désormais leur ajouter Houston Person et Bill Charlap. Les qualités requises sont la splendeur du son pour le ténor, la délicatesse et l’invention harmonique pour l’homme aux claviers. Et bien sûr, un placement rythmique impeccable. Il est bon aussi d’exploiter les standards pour que le public suive bien les embellissements qu’ils reçoivent. Person et Charlap ont joué Namely you, I’ll remember April, Once in a while, Don’t get around much anymore, Memories of you, How about you ? Charlap en solo, Come rain or come shine et Tea for two (avec le verse). Person un blues de 32 mesures avec pont. Le duo enfin Let’s fall in love, Sweet Lorraine, My Funny Valentine, S’Marvelous et, en encore, l’inévitable et nécessaire Body and Soul, plus Where or when Pas une faute de goût, une entente parfaite, une musicalité à toute épreuve : le public était envoûté. André Ménard, l’un des deux directeurs du festival, avait la fête dans les yeux.

Petit bilan, au terme de ces onze soirées ? Un concert a atteint indiscutablement les sommets de la musique, celui de Wayne Shorter. Maria Schneider a séduit, Branford Marsalis confirmé sa forte présence, Joshua Redman affirmé la sienne. Stevie Wonder a été le cadeau universel attendu pour consoler de la perte de Michael Jackson. Le festival confirme sa suprématie mondiale pour l’abondance et la qualité de son programme, l’excellence de son organisation, la chaleur et l’ouverture d’esprit de son public. Merci à tous, du fond du cœur.

Le chroniqueur quitte Montréal pour New York, où il n’y a plus de festival de jazz d’été. Mais George Wein, inventeur du concept même de festival, à Newport, annonce que l’année prochaine le groupe pharmaceutique Carefusion va prendre, à Paris comme à New York, le relais de JVC qui a renoncé au mécénat culturel, après tant d années. De New York, le chroniqueur enverra de quoi nourrir le blog Summertime s’il tombe sur de bons programmes dans les clubs. Après quoi, il se rendra à Patrimonio (Corse) et Nice, où de beaux festivals l’attendent.

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Michel Contat
12 juillet 2009

Télérama.fr

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