L' Odyssée

l'Odyssée

un Pentécontère le bateau d'Ulysse, un navire de guerre de 50 rameurs
un Pentécontère

L’Iliade et l’Odyssée ont survécu aux bouleversements de plus de vingt-cinq siècles sans que l’on arrive jamais à rien savoir de certain sur leurs sources, la date où elles furent composées et l’identité de leur auteur. Nous sommes de ceux pour qui l’Odyssée n’a d’existence que dans la mesure même où elle pénètre encore au plus profond de nous.


Néanmoins, quelques certitudes importantes nous sont acquises, sur lesquelles il est indispensable de jeter quelque lumière.
Homère lui-même nous dit, à plusieurs reprises et avec une précision très suffisante, comment l’épopée allait de son auteur à son public. Un chanteur, un aède, était attaché à la maison des seigneurs : le banquet terminé, on le faisait parfois venir au milieu des convives, et on lui demandait de chanter  “la gloire des hommes“, tel épisode des grandes légendes antiques ou de l’histoire contemporaine ; ou bien c’était lui qui choisissait, sous la pression d’un dieu ou bien quelqu’un lui proposait un thème, qui faisait probablement partie d’un répertoire que l’aède connaissait par cœur, et sur lequel il pouvait même improviser. Et les seigneurs, au dire du poète il est vrai, semblent ne jamais se lasser de ces récits (qu’il psalmodie probablement en s’accompagnant d’un instrument à cordes, lyre ou cithare), ils écoutent en silence "dans l’ombre de la salle “, ils prennent plaisir à la parole comme ils goûtent ce qu’il y a de meilleur dans la vie, les festins, les bains chauds, la lumière du soleil.
On sait également par Platon que les poèmes d’Homère, de son temps, étaient non plus chantés ou psalmodiés par des aèdes, mais déclamés par des rhapsodes, avec toutes les ressources de l’art de la diction ; dans un de ses dialogues, il a mis en scène un de ces jeunes déclamateurs, qui déclare notamment à Socrate : “Pour moi, quand je débite quelque passage pathétique, mes yeux s’emplissent de larmes ; si c’est un endroit effrayant ou étrange, d’effroi mes cheveux se lèvent tout droits et mon cœur se met à battre. “

L’épopée n’était donc plus alors le privilège des seigneurs, mais l’ornement des grandes cérémonies publiques. Et voici une première certitude : que la poésie épique fut d’abord, comme partout ailleurs, une poésie orale.

Si donc, négligeant tout ce que l’Odyssée, sans l’avoir voulu, peut m’apprendre sur la géographie, l’histoire et la religion grecques, je décide de n’y rechercher que ce plaisir ou cette émotion, qu’elle communiquait à ses auditeurs, ne sera-ce pas d’abord à son langage qu’il me faudra demander ses secrets?

Philippe Jaccotet 1955, 
Postface p 404, 405
L’Odyssée D’Homère
Editions La Découverte